"La justice n'a pas voulu la lâcher": 4 ans après sa mise en examen, une surveillante pénitentiaire se suicide

Depuis cinq ans, Delphine Pader vivait avec le soupçon de la culpabilité au-dessus de ses épaules. Mise en examen pour avoir introduit des explosifs afin d'aider un détenu à s'évader de la maison d'arrêt de Douai, dans le Nord, où elle travaillait comme surveillante pénitentiaire depuis cinq ans, cette mère de famille de 50 ans s'est suicidée à la fin du mois de juillet.
"Elle était à bout face à une justice qui n'avançait pas", déplore son mari Jérôme Pader. Avec son fils, et sur les conseils de leur avocat Me Damien Legrand, il va prochainement déposer une requête contre l'Etat pour faute lourde. "Nous voyons deux dysfonctionnements dans cette procédure: la violation du principe de présomption d'innocence et le délai irraisonnable", précise le conseil à BFMTV.com.
Delphine Pader, qui a toujours nié les faits, a été mise en examen en 2019 pour "association de malfaiteurs" et introduction illicite d'explosifs au sein de la maison d'arrêt de Douai. Les faits reprochés à cette surveillante, habituée aux très bonnes notations de sa hiérarchie, remontent à plusieurs mois auparavant, en octobre 2018.
Une surveillante investie dans son métier
Selon le récit de la fonctionnaire, comme l'a révélé Le Parisien, un détenu, connu pour son appartenance au grand banditisme, la contacte. Il lui assure avoir découvert un explosif extrêmement puissant dans le plafond de la prison. Ce dernier se tourne vers cette surveillante en qui il a confiance, il assure qu'il ne le remettra qu'à elle. Delphine Pader est connue pour exercer son métier de manière humaine, croyant en la rédemption et la réinsertion des détenus.
"Elle me disait souvent que le détenu a été condamné, qu'elle n'a pas à refaire le procès, et que son objectif est qu'il se réintègre et qu'il ne récidive pas", se souvient avec émotion son mari.
La fonctionnaire accepte donc de récupérer le produit sans en référer, dans un premier temps, à sa hiérarchie. A l'intérieur du sachet se trouve en effet une poudre blanchâtre, du RDX, un puissant explosif militaire. L'enquête a démontré que, bien maîtrisé, le produit aurait pu détruire un tiers de la maison d'arrêt de Douai. Une fois le sachet en sa possession, Delphine Pader prévient la direction de l'établissement. Une enquête est lancée.
Un contrôle judiciaire strict
Le détenu qui a remis à la lieutenant le sachet d'explosif a déjà été condamné pour avoir fait usage de ce type de substance. Dans la cellule d'autres détenus, un détonateur, notamment, est découvert. Une tentative d'évasion semblait se préparer. Pour les enquêteurs, c'est Delphine Pader, à qui certains de ses collègues prête une relation intime avec le détenu qui lui a remis le sachet, qui a fait entrer les explosifs au sein de la prison.
Pour une raison inconnue, le projet d'évasion aurait été abandonné, et la surveillante aurait inventé cette histoire de découverte fortuite. Un autre détenu affirme avoir filmé avec son téléphone portable Delphine Pader remettre son sac à dos qu'elle utilisait tous les jours au fameux détenu. C'est dans ce contexte, après six mois d'enquête, et après 96 heures de garde à vue, qu'une juge d'instruction de Douai met en examen la surveillante. Le détenu, qui a remis les explosifs, obtient lui une remise de peine justement pour avoir donné le sachet.
Son contrôle judiciaire lui interdit d'exercer son métier de surveillante pénitentiaire. "Ce métier, c'était un sacerdoce pour elle, son monde s'est écroulé", souffle Jérôme Pader. La justice lui interdit aussi d'entrer en contact avec ses anciens collègues, qui au fil des ans, étaient devenus des amis. "Elle s'est retrouvée totalement isolée", poursuit son mari.
Une grève de la faim
Delphine Pader, qui est seule à être mise en examen dans ce dossier, nie toute implication et tente de plaider sa bonne foi. Rien dans les premiers éléments de l'enquête ne permet d'établir une complicité interne dans la découverte du sachet d'explosif. Le téléphone du détenu qui affirme avoir filmé la surveillante est saisi dès 2018, mais n'est pas analysé. "La justice a laissé peser cet élément-là contre elle pour maintenir sa mise en examen", estime Me Damien Legrand.
L'instruction est interminable, la surveillante enchaîne les demandes d'actes. Delphine Pader fait plusieurs tentatives de suicide. "Ce n'est pas normal de laisser un dossier sans y toucher pendant quatre ans", martèle son mari. En février dernier, elle entame une grève de la faim. Son avocat le fait savoir à la juge d'instruction. "Elle ne voyait plus que cette solution pour faire bouger les choses, c'est quand même dramatique qu'il ait fallu qu'elle fasse cette grève pour que les choses avancent", dénonce avec colère Jérôme Pader.
La surveillante demande à être confrontée au détenu. Cette confrontation n'est intervenue qu'en mai dernier après une grève de la faim entamée par la quinquagénaire. Le détenu la dédouane.
Un téléphone analysé 4 ans plus tard
Le téléphone de l'autre détenu va aussi être analysé quatre ans plus tard. L'expert est catégorique: il n'y a jamais eu de vidéo enregistré avec l'appareil. Le contrôle judiciaire de Delphine Pader est levé mais la juge considère qu'il existe toujours des éléments à charge contre elle. "La justice n'a pas voulu la lâcher", déplore Me Damien Legrand. Le 31 juillet, elle avale une boîte de somnifère. Elle a laissé plusieurs lettres, dont une à son fils de 19 ans, dans laquelle elle confie son ras-le-bol d'être considérée comme une criminelle.
"Aujourd'hui, nous voulons que Delphine soit rétablie dans son honneur, nous voulons que l'on dise que la justice a fait fausse route", conclut avec amertume son mari.