L'accusation de crime contre l'humanité à l'encontre de l'ETA est-elle fondée?

Des policiers espagnols font des relevés le 9 février 2005 après l'explosion d'une voiture piégée à Madrid. Revendiqué par l'ETA, l'attentat avait fait 39 blessés. - Christophe Simon - AFP
Un juge de Madrid a déclaré vendredi recevable la plainte formulée par plusieurs associations de victimes de l'organisation séparatiste basque, visant à qualifier les exactions de l'ETA de crimes contre l'humanité. Cette décision a d'autant plus de poids qu'elle provient d'un magistrat de l'Audience nationale, un tribunal placé sous l'autorité de la Cour suprême espagnole, mais qui jouit d'une compétence générale couvrant tout le royaume et qui se saisit des affaires les plus graves, comme celles ayant trait au terrorisme, et en particulier des crimes perpétrés par l'ETA.
Justement, pourquoi le juge Juan Pablo González a-t-il accepté d'ouvrir une enquête pour crimes contre l'humanité, et annoncé dans le même temps que ce geste était "symbolique"?
Prises en compte des crimes perpétrés après 2004
La notion de crime contre l'humanité a été introduite dans le droit espagnol par une loi organique de 2004. la définition est peu ou prou la même qu'en droit pénal français. Car si la Cour pénale internationale (CPI) donne bien une définition du crime contre l'humanité, c'est bien "une juridiction espagnole et pas internationale" qui a pris la décision d'ouvrir cette enquête, fait remarquer maître Gwennhaël de Clercq, avocat au barreau de Lyon.
Mais selon lui, cette substitution de la "circonstance aggravante de terrorisme" par la notion de "crime contre l'humanité", ne "fait pas vraiment sens pour cette infraction". Dans les deux droits positifs, article 607 du Code pénal espagnol et 212-1 du Code pénal français, comme d'ailleurs pour la CPI, la condition d'une "attaque généralisée ou systématique" est posée.
Est-on fondé à croire que cette condition est remplie concernant l'ETA? L'organisation terroriste est tenue responsable d'au moins 829 morts en 40 ans et, selon le registre du journal ABC, treize (dont un gendarme français) depuis 2006, soit depuis l'adoption de la loi de 2004. Les actes antérieurs à son entrée en vigueur ne sont en effet pas pris en compte. Mais qu'ils le soient ou non, le caractère "systématique de l'attaque" retenu par le juge paraît, a minima, discutable.
En France, le crime contre l'humanité n'a été retenu qu'à de "très rares" occasions, fait observer Me de Clercq: "pour Klaus Barbie, Maurice Papon, Paul Touvier". Autant de faits qui se sont déroulés pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre d'une collaboration active avec les nazis. La notion de crime contre l'humanité "est plus adaptée à des cas de guerres, de guerres civiles ou ethniques, qu'à des actes terroristes", poursuit l'avocat. D'ailleurs, les terroristes de l'ETA emprisonnés en France l'ont bien été pour ce motif, et non pour crimes contre l'humanité, relève-t-il encore.
L'enquête pour génocide écartée par le juge
S'il a fait droit à une partie de leurs requêtes, le juge espagnol n'a cependant pas ouvert d'enquête pour "génocide" comme le demandaient les plaignants. Pour justifier sa décision, il a rappelé au journal El Pais que l'infraction visait à protéger des groupes persécutés en raison de leur "nationalité, ethnie, race ou religion", mais que "dans le cas d'espèce, les victimes et auteurs de l'infraction partageaient une même nationalité" et qu'au surplus, "les groupes politiques ou idéologiques", n'entraient pas dans le cadre de cette infraction.
L'organisation ETA, tout en refusant de désarmer et de se dissoudre sans condition comme l'exigent les gouvernements français et espagnol, a annoncé le 20 octobre 2011 qu'elle renonçait à la violence. Ce qui, cette affaire le montre, ne l'absout en rien de ses crimes passés.