Kamel Daoudi, le plus ancien assigné à résidence, retourne en prison

tribunal - DAMIEN MEYER
Pointer aux commissariats deux à trois fois par jour, être à son domicile entre 21 heures et 7 heures: depuis 12 ans, Kamel Daoudi est soumis à une assignation à résidence stricte en France. Des conditions qu'il respecte dans sa globalité, si l'on excepte des retards pour les pointages ou dernièrement pour rentrer chez lui. Pour ne pas avoir respecté à plusieurs reprises ce couvre-feu, cet Algérien de 46 ans a été condamné mardi à un an de prison ferme par le tribunal d'Aurillac.
"Il est dans une situation kafkaïenne et dramatique, déplore auprès de BFMTV.com son avocat, Me Emmanuel Daoud. Il vivait jusqu'à hier dans une prison à ciel ouvert, confronté aux murs du couvre-feu et de l'assignation à résidence. Il est désormais en prison. Il se considère comme la victime d'un acharnement."
Assigné depuis 12 ans
Le face-à-face entre Kamel Daoudi et la justice française débute en 2001 lorsqu'il est arrêté, soupçonné d'avoir participé à un projet d'attentat contre l'ambassade des Etats-Unis en France. Considéré comme un proche de l'organisation terroriste al-Qaïda, il est définitivement reconnu coupable en 2005 par la cour d'appel de Paris et condamné à six ans de prison. Il est finalement libéré en 2008 mais soumis à une peine complémentaire lui interdisant le territoire français. Il est également déchu de sa nationalité française.
A sa sortie de prison, dans l'attente de son expulsion, Kamel Daoudi est assigné à résidence en France. Mais en 2209, la Cour européenne des droits de l'Homme suspend cette expulsion, l'intéressé encourant des tortures dans son pays d'origine. Depuis, le ministère de l'Intérieur renouvelle son assignation à résidence au nom de la dangerosité que l'homme représenterait. Dans le même temps, l'Algérien est sommé de trouver un pays d'accueil. Le tribunal d'Aurillac a par ailleurs estimé qu'il ne respectait pas cette obligation.
"Quel pays voudrait de lui avec l'étiquette de terroriste qui lui est attribuée?", interroge Me Daoud.
"Il était en train de vivre"
Kamel Daoudi est marié à une Française avec qui il a eu trois enfants, en bas âge. Une famille avec laquelle il n'a jamais pu vivre, lui qui a déménagé huit fois depuis 2008. Ce changement au gré de ses assignations à résidence l'empêche de trouver un travail ou tisser un lien social. Une situation qui l'empêche de voir sa famille, qu'il a rencontrée 17 fois depuis le début de l'année 2020. Le jour de son interpellation, le 25 septembre dernier, Kamel Daoudi était en retard de quelques dizaines de minutes alors qu'il rentrait d'un café alternatif d'Aurillac.
"Aujourd'hui, on le condamne pour 4,5 retards car il était juste en train de vivre", estime son avocat, qui a fait appel de cette condamnation.
La situation dans laquelle se trouve Kamel Daoudi est-elle insoluble? En décembre 2018, il a déposé une demande de levée d'assignation à résidence devant la cour d'appel de Paris, la juridiction qui a fixé cette contrainte. Si l'avocate générale a reconnu que l'Algérien présentait des garanties de réinsertion, n'avait pas fait parler de lui, elle a aussi fait référence à un rapport policier faisant état de "regards menaçants" envers les agents lorsque ce dernier venait pointer au commissariat. Sa demande avait donc été rejetée et la défense s'est pourvue en cassation.
Etat psychologique inquiétant
Le cas de Kamel Daoudi soulève l'indignation des associations de défense des droits de l'Homme. "Kamel Daoudi comparaissait pour un retard de 30 minutes à son assignation à résidence, estime l'ONG. Une assignation à résidence qui dure depuis 12 ans et que les autorités françaises ne justifient plus depuis longtemps. (...) En rendant sa décision, le tribunal d’Aurillac a condamné un homme à qui on n’a plus rien à reprocher, si ce n’est d’avoir cuisiné pour une soirée amicale. À l’acharnement des autorités s’ajoute une décision judiciaire hors de proportion."
Kamel Daoudi a entamé une grève de la faim et de la soif depuis le 25 septembre dernier, jour de son interpellation. Plus que sa santé physique, c'est l'état psychologique du détenu de la maison de Lyon-Corbas qui inquiète ses proches. "Il va mal, confie Me Emmanuel Daoud. C'est à se demander si certains n'attendraient pas que le problème Kamel Daoudi soit réglé par lui-même. Et ce risque aujourd'hui, il existe."