Incendie du Cuba Libre: trois ans après le drame, les gérants font leur mea culpa

Au premier jour de leur procès, les deux ex-gérants du bar rouennais Cuba Libre, où 14 personnes sont mortes dans un incendie en 2016, ont assuré devant le tribunal correctionnel de Rouen qu'ils assumeraient leurs erreurs.
Le tribunal s'est d'abord intéressé aux personnalités de Nasser et Amirouche Boutrif, deux frères de 48 et 40 ans. Leur procès, très attendu par les proches et familles des victimes, s'est ouvert en présence de plusieurs dizaines de parties civiles.
Crânes rasés, chemises bleu marine, les deux hommes qui comparaissent libres sont jugés pour "avoir involontairement causé la mort" de 14 personnes et involontairement blessé cinq autres grièvement, dans l'incendie de leur établissement dans la nuit du 5 au 6 août 2016.
"C'est de la dissimulation"
Les victimes fêtaient les 20 ans d'une jeune femme dans le sous-sol de 24,4 mètres carré de ce bar aménagé sans autorisation en boîte de nuit, lorsque deux bougies du gâteau d'anniversaire, des fontaines à étincelles, ont enflammé le plafond d'un escalier étroit, bas et très pentu. Recroquevillés sur leurs chaises, le regard parfois dans le vide, les deux prévenus ont raconté leur parcours avant leur arrivée en France jusqu'au rachat en décembre 2003 par l'aîné du bar, devenu plus tard le Cuba Libre.
Les deux frères, aux casiers judiciaires vierges, sont soupçonnés d'avoir commis une kyrielle de "violations manifestement délibérées d'une obligation de sécurité ou de prudence". Interrogés ce lundi par la présidente, il apparaît qu'aucun des deux n’avaient signalé le changement d’affectation de la cave en discothèque.
"Mais pourquoi", demande la présidente? "Pour ne pas perdre le bail", dit Amirouche Boutrif. "C’est donc de la dissimulation", rétorque la magistrate selon notre journaliste présente à l'audience. Nasser Boutrif se justifie: "C’était juste une pièce en plus , j’ai pas calculé qu’il fallait signaler quelque chose."
"Manquements" et "grosses erreurs"
"Il y a eu des manquements et des grosses erreurs. Tout l'enjeu de cette audience va être de comprendre par quelle malchance cette série de dysfonctionnements a abouti au drame", a déclaré avant l'audience Antoine Vey, avocat d'un des deux frères.
"Ils ne contestent aucune de leurs erreurs. Ils reconnaissent qu'ils n'étaient pas en conformité. Ils ne vont pas contester leurs manquements", a-t-il affirmé.
Né en Algérie, Nasser Boutrif est arrivé en France en 1999. Marié, père d'un enfant et titulaire d'un bac+2 en archéologie et civilisation, cet homme qui possède la double nationalité française et algérienne avait travaillé comme agent de sécurité en France avant d'acheter le bar. Après le drame du Cuba Libre, il a été placé sous contrôle judiciaire en décembre 2016. Il est depuis un an agent administratif dans une société de livraison à Paris, après avoir travaillé dans un café de Rouen comme serveur.
"Je ne suis pas foncièrement mauvais"
"Je suis peut-être impulsif mais je ne suis pas foncièrement mauvais", a témoigné à la barre cet homme reconnu travailleur handicapé en raison d'un problème de dos.
Le plus jeune a raconté avoir rejoint son frère en France en 2011 après avoir travaillé dans le commerce en Algérie. Marié, père d'un enfant, il possède une carte de résident renouvelable depuis 2013 et un emploi dans une entreprise de transport à Saint-Étienne-du-Rouvray, en banlieue de Rouen. Décrit comme quelqu'un de calme, Amirouche, qui assistait Nasser dans la gestion du bar, a dit avoir "toujours eu du respect pour son frère". Depuis les faits, il est suivi par un psychiatre et sous traitement médical.
"Un piège qui s'est refermé"
La liste des manquements à la sécurité établis par les enquêteurs est longue: les prévenus ont "laissé verrouillée l'unique porte de secours du sous-sol", les murs et les plafonds étaient recouverts de plaques de mousse en polyuréthane insonorisante mais extrêmement inflammable et fumigène.
Experts, pompiers et policiers sont appelés à venir témoigner au procès. "Tous diront clairement que cette cave, c'est un piège qui s'est refermé sur 14 malheureuses victimes", avait déclaré avant le procès Marc François, avocat de la famille d'une victime décédée.