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"Il m’a fallu des mois de combat pour m'en sortir": coups, viols... Tiphanie raconte l'enfer des violences conjugales

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À 25 ans, Tiphanie est mariée et maman de deux enfants lorsqu’elle fait la rencontre de Rudy. L'homme la bat et la viole pendant un an. Après plusieurs mois à tenter de se faire entendre auprès de la police, Rudy est finalement condamné à 18 ans de réclusion criminelle.

"Parfois on demande de l'aide, et on ne l'obtient pas." Pendant un an et demi, Tiphanie a vécu sous l’emprise et le contrôle de son compagnon violent. Rudy, un homme marié, lui a fait vivre un véritable cauchemar.

Aujourd’hui, elle raconte les coups de poing, les poignées de cheveux arrachés, les intimidations, les menaces, les dénigrements à répétition, mais aussi les rapports sexuels imposés par son agresseur dans le livre Vivante! paru aux éditions Michalon, ce jeudi 23 janvier. Un témoignage bouleversant qu’elle a accepté de livrer dans un épisode inédit du podcast Affaire Suivante.

Tiphanie rencontre Rudy par l'intermédiaire d'une collègue au début de l’année 2014. L’aide-soignante, âgée de 25 ans, est mariée à Jérôme. Le couple vient d’accueillir son premier enfant; le deuxième pour la jeune femme déjà mère d’une petite fille née d’une précédente union. Rudy, lui, à 28 ans. Tatoueur de profession, il est marié et père de quatre enfants.

"Il a su sur quels points sensibles il pouvait taper"

Si Tiphanie rencontre Rudy c’est parce qu’elle et son compagnon confectionnent des gâteaux. Rudy fait donc appel à leur service pour l’anniversaire de l’un de ses fils. Au fil des discussions, le tatoueur propose au couple un chantier bien plus grand: la décoration d’une maison qu’il aménage.

Tiphanie accepte. Son mari, au chômage, passe le plus clair de son temps enfermé à jouer aux jeux vidéo. Elle se dit qu’il s'aérera un peu l'esprit. Au début, ces travaux sont une activité de couple pour Tiphanie et Jérôme. Mais au fil des jours, Rudy tente un rapprochement. Il a des gestes déplacés envers la jeune femme dont le mari abandonne peu à peu le chantier.

[INÉDIT] "Il m’a fallu des mois de combat pour m’en sortir": sous l’emprise de son compagnon violent, Tiphanie raconte le cauchemar qu’elle a vécu
[INÉDIT] "Il m’a fallu des mois de combat pour m’en sortir": sous l’emprise de son compagnon violent, Tiphanie raconte le cauchemar qu’elle a vécu
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Un jour, Tiphanie craque. Elle succombe aux avances de Rudy. Ici commence une relation toxique, ponctuée de pauses, de périodes d’extrême violence jusqu’à la séquestration de Tiphanie durant plusieurs semaines.

Pour la couper des siens, et sans qu'elle ne s'en aperçoive, Rudy s'adapte à Tiphanie qui, petit à petit, tombe sous son emprise. "Au début, pour me plaire, pour qu'il y ait une synchronisation, il travaillait par mimétisme", explique la jeune femme. "Il imitait ma façon de parler, il améliorait la sienne."

Tiphanie, c'est un peu l'épaule sur laquelle Rudy s'empresse de pleurer. Il lui partage son vécu, son histoire. "Il a vu que j'avais énormément d'empathie, il m'a vite cernée", confie Tiphanie. "Il a su sur quels points sensibles il pouvait taper, et effectivement ça a fonctionné."

Tiphanie est prisonnière. Rien n'arrête Rudy qui débarque en pleine nuit sur le lieu de travail de la jeune femme. "Il n'hésitait pas à rentrer de force en passant par les petits chemins." L'homme se faufile dans les étages pour atteindre le service de Tiphanie. "Il surprenait tout le monde, il menaçait. Il a menacé mon collègue sur son lieu de vie", confie-t-elle. La mère de famille est isolée sans avoir personne à qui parler. "Mes collègues ne pouvaient pas comprendre ce que je vivais, ils vivaient aussi dans la peur."

Tiphanie perd alors son travail: le début de la "dégringolade". "Il a pris possession de tout, de ma vie tout simplement." Parce qu'elle craint pour sa vie, Tiphanie s'endort avec un couteau. "Non, je survivais la nuit, je vérifiais constamment les portes, les fenêtres", se reprend la jeune femme. "Un réflexe de survie."

"Ils m'ont vue dans des états lamentables"

"Il est entré à plusieurs reprises par effraction. Il cassait les volets, il arrivait à ouvrir les fenêtres de l'extérieur. Il entrait comme il voulait. J'avais beau fermer la porte à clé, il finissait par la défoncer." Un jour, il lui volatilise une clé et s'en fait un double.

La rue et ses passants ne sont pas un soutien, une issue de secours au calvaire de Tiphanie, qui reçoit les coups de Rudy sitôt qu'elle croise le regard d'un inconnu. "Je me faisais frapper", explique-t-elle. En face, la personne se faisait, elle aussi, frapper et insulter. "Ça pouvait être un jeune homme ou une personne âgée, ça ne l'effrayait pas."

Tiphanie n'a jamais voulu mêler personne à son calvaire de peur que Rudy ne s'en prenne à eux. De peur de mettre ses proches en danger. "Il menaçait tout le monde: mes parents, le père de mes enfants, mes amis", confie-t-elle.

Le voisinage n'a jamais rien tenté pour mettre un terme à son calvaire. "Ils m'ont vue dans des états lamentables sur une route traînée au sol", souffle Tiphanie. "Aucun n'a osé s'interposer. Ils étaient terrorisés du comportement de Rudy. "Je me suis toujours dit que j'allais m'en sortir seule."

"Je me suis sentie longtemps coupable de ce que j’ai vécu", explique Tiphanie qui s’est aujourd’hui pardonnée. "C’est aussi le phénomène de l’emprise, se sentir honteuse, avoir honte d’être victime."

Cette emprise, cette "toile d’araignée où tout doucement on se fait attraper une fois qu’on est à l’intérieur", Tiphaine a eu du mal à s’en tirer. "Il m’a fallu des mois de combat pour essayer de m’en sortir", explique-t-elle. Tiphanie se dit "chanceuse" que cet homme finisse par prendre peur et partir de lui-même. S’il a repris "le combat" par la suite, la jeune femme "allait déjà mieux".

"Au bout de quelques mois, quand j’ai su qu’il réitérait cette histoire sur d’autres femmes, quand moi j’étais finalement tranquille (...) C’est là où j’ai pris la route du commissariat."

En chemin, Tiphanie se dit qu’elle s’en est sortie, "mais pas les autres". "Peut-être pas." Elle dépose plainte et relance l’ensemble des démarches. Probablement parce qu'elle sait ce qui les attend, ces autres femmes prisonnières de leur bourreau: la lassitude des proches face aux retours intempestifs de l'ancien compagnon, les plaintes qui ne sont pas enregistrées, la solitude, la peur.

"Il ne m'aura pas détruite"

Aujourd'hui, Tiphanie est "vivante", appuie-t-elle. "J'ai une très belle famille. Je me suis reconstruite et j'ai eu cette chance." Elle se dit prête "à mener le combat, à lutter, à parler autant de fois qu'il faut de ce que j'ai vécu pour qu'on soit entendues."

"On", ce sont toutes ces femmes victimes de l'indicible. Depuis le début de l'année 2025, six femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex-compagnon, selon le collectif féminicide par compagnon ou ex. En 2024, 93 sont mortes sous les coups de leurs conjoints, toujours selon le collectif.

En 2018, Rudy a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle. "J'ai survécu, mais je suis encore plus vivante parce qu'il ne m'aura pas détruite", conclut-elle. "Je me suis reconstruite encore plus fort qu'avant."

3919

Le 3919 est le numéro d'écoute et d'orientation pour les femmes victimes de violences. Le numéro est gratuit, anonyme et accessible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Il permet d'orienter les femmes qui le contactent vers les associations et structures adaptées pour bénéficier d'un accompagnement.

Charlotte Lesage