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Horaires à rallonge, pressions, humiliations: une association d'aide aux étrangers jugée pour esclavagisme

Tribunal de grande instance de Paris.

Tribunal de grande instance de Paris. - AFP

Trois dirigeants de l'association Vies de Paris comparaissent ce vendredi pour avoir exploité des étrangers qu'elle était censée assister. Ces bénévoles dénoncent des conditions de travail indignes.

Elles sont 52. 52 personnes à être venues demander de l'aide à cette association parisienne. 52 personnes en situation de vulnérabilité, des étrangers, sans papier, maîtrisant mal le Français.

Ce vendredi, elles sont également à 52 à venir réclamer des comptes à trois dirigeants de Vies de Paris, l'association d'aide aux étrangers qu'elle accuse de les avoir exploitées en les faisant travailler illégalement dans des conditions indignes. Trois personnes sont accusées d'avoir ajouté de la vulnérabilité à leur vulnérabilité.

L'association Vies de Paris, ce sont cinq sites en région parisienne, avec une devise: "culture, formation, intégration". L'organisme fournit aux étrangers sans papier une domiciliation mais propose aussi des formations, des activités culturelles ou encore une assistance juridique. L'idée, selon son fondateur renvoyé aujourd'hui devant la justice, est de faire participer les bénéficiaires en "plaçant l’adhérent au centre de ses propres actions au bénéfice de son intégration et son insertion économique, que l’adhérent soit ACTEUR de sa propre évolution."

Pressions, menaces, insultes

Le principe, selon le président de l'association, est également de faire participer les adhérents au fonctionnement de l'association contre une gratification, et donc une intégration. Sauf que cette gratification n'est absolument pas à la hauteur des tâches accomplies par ces bénévoles, tous sans papier. Au fil des 300 pages du rapport qui a été rendu par l'Inspection du travail, associée à l'Office de lutte contre le travail illégal, saisis par deux "vrais" bénévoles de nationalité française, c'est le fonctionnement d'une véritable entreprise qui est décrit. On évoque un chiffre d'affaires annuel de 500.000 euros.

"Le président de Vies de Paris tient un business et il faut que ça roule, détaille Me Aline Chanu, l'avocate des 52 victimes et du Comité central contre l'esclavage moderne, partie civile dans le dossier. C'est un système rodé et organisé qui avait été mis en place." L'avocate évoque 160 personnes qui participaient au fonctionnement de l'association.

Démarchage pour réaliser des domiciliations, rappels des adhérents quand ils ont du courrier, tri de ce courrier, les preuves d'un travail effectif des bénévoles est attesté par des plannings sur lesquels sont inscrits les horaires, les sites d'affectation mais aussi les appréciations haineuses, voire racistes du président à propos de ses "salariés" sans papier. En plus des pressions, menaces ou insultes, ces derniers travaillaient entre 60 et 80 heures par semaine pour une gratification "ridicule", selon l'avocate, entre 200 et 800 euros, soit un taux horaire entre 0,36 et 4 euros de l'heure, pour plus qu'un temps plein travaillé. Pour titre de comparaison, un SMIC horaire brut atteint les 10,57 euros.

"Nous connaissions les cas d'esclavage domestique ou les cas pour les saisonniers, dans les restaurants, etc. Mais dans une association, surtout agréée, c'est la première fois," se désole Sylvie O'Dy, présidente du Comité contre l'esclavage moderne (CCEM).

Services payants

Selon l'enquête de l'Inspection du travail, qui a conduit à un signalement auprès du procureur de Paris, l'exploitation de ces étrangers sans papier débutait dès leur adhésion à l'association. La domiciliation était payante, entre 50 et 150 euros. "Ce qui est illégal", s'insurge Sylvie O'Dy. Les cours de français mais aussi des formations pratiques, de pâtisserie ou de plomberie, étaient proposés pour des tarifs atteignant les 1800 euros. Les adhérents, la plupart du temps dans une situation de vulnérabilité économique ne pouvant payer, l'association leur proposait de leur faire crédit. Pour rembourser leur dette, il devait travailler.

"Le fondateur va recruter ses victimes, il va les sélectionner", estime Me Aline Chanu. "Il procède à des entretiens au cours desquels il les fait parler de leur vie intime, de leur parcours migratoire. Il va ensuite se servir de ces failles."

Originaires d'Haïti, de l'Ile Maurice, du Cameroun, de la Côte-d'Ivoire, du Bénin, de la Serbie ou encore d'Inde, certaines viendront témoigner devant le tribunal correctionnel de Paris qui juge ce vendredi, trois personnes, dont le président de l'association, pour "traite des êtres humains aggravée", "travail dissimulé" et "emploi d'étrangers en situation irrégulière". Parmi les victimes figurent deux mineurs. Des victimes qui attendant "l'exemplarité de la peine", assure la présidente du CCEM, qui assiste 18 d'entre elles.

Ronald Désir, le fondateur et président de Vies de Paris, contacté par BFMTV.com, se défend de toutes ces accusations, estimant avoir employé des bénévoles qui, sans ça, travailleraient au noir. Selon lui, les domiciliations n'étaient pas payantes. Les 45 euros réclamés étaient payés "par ceux qui le peuvent". S'il reconnait qu'une solution d'échelonnement de la dette des adhérents était proposée en échange d'un travail au sein de l'association, "le document de rappel ne sert vraiment à rien car il y a très peu des bénévoles qui ont participé, en général ils ne paient pas, ou ils ne terminent pas la formation". Il encourt jusqu'à 15 ans de prison.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV