Explosions, extorsions de fonds, exécutions… La guerre des clans mafieux s'intensifie en Corse

Un incendie dans une école de plongée en Corse, le 26 août 2025, à Ajaccio - Core in Fronte
La spirale de la violence s'arrêtera-t-elle? Ce mardi 26 août, une école de plongée d'Ajaccio, en Corse du Sud, a été détruite par une explosion survenue au petit matin sur la plage du Ricanto. Une déflagration d'origine criminelle qui n'a pas fait de blessé mais qui a très fortement dégradé l'établissement tenu par un militant du parti indépendantiste Core in Fronte.
Une enquête a été ouverte pour "dégradation par incendie" et confiée à la police d’Ajaccio, a indiqué le procureur de la République Nicolas Septe, à l'AFP. "À ce stade, les investigations ne permettent pas de déterminer le mobile de cet acte criminel, mobile qui sera activement travaillé par les enquêteurs", a-t-il précisé.
De son côté, le parti nationaliste auquel appartient le propriétaire de l'école de plongée n'a pas tardé à réagir. "Nous mettons solennellement en garde les apprentis sorciers qui visent à créer le chaos en Corse", a-t-il menacé sur X.
Ce nouvel acte criminel intervient alors que plusieurs établissements touristiques de la région d'Ajaccio ont été touchés par des incendies dans les derniers mois. Des attaques en série, qualifiées auprès de Ouest France de "spirale mortifère" par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Corse, sur lesquelles plane l'ombre d'une guerre des clans qui continue de déchirer l'île qui a vu naître Napoléon.
Fabrice Rizzoli, spécialiste de la grande criminalité, notamment de Corse, et président de Crim'HALT, décrypte l'état de la guerre entre les organisations mafieuses de Corse.
Quelle est l'origine de ces incendies en série?
Il y a deux grandes possibilités: la jalousie d'un concurrent qui n'est pas forcément lié à un clan criminel. Cela arrive aussi en Corse notamment dans les secteurs concurrentiels comme la plongée, les balades de bateaux, boulangerie et autres.
Mais, la criminalité corse a pour particularité d'être solidement ancrée sur le territoire par la pratique de l'extorsion. Il est très clair, que les bandes criminelles de l'île, se livrent effectivement à une guerre de territoire pour contrôler des activités économiques. Les secteurs ciblés sont ceux nommés les H.O.R.E.C.A, pour Hôtellerie, Restauration, et Café.
Pourquoi les organisations criminelles se battent-elles pour les activités touristiques?
Les clans pratiquent des extorsions dans des secteurs où on travaille avec de l'argent liquide comme c'est souvent le cas dans les écoles de plongée, les restaurants ou autres activités touristiques. Les bandes tentent de mettre la main sur un établissement qui fonctionne avec du cash, cela leur permet de blanchir l'argent sale du trafic plus aisément. Évidemment, si vous avez gagné de l'argent sale en vendant de la drogue, vous le mettez dans la caisse de votre activité comme la plongée ou des balades en mer pour faire légalement gonfler le chiffre d'affaires afin de justifier l'origine de vos biens et de vos possessions.
Quelles formes peuvent prendre ces extorsions?
Pour les activités touristiques, les méthodes peuvent ressembler à celles utilisées dans le domaine de la gestion des déchets que les clans se disputent aussi. Une organisation voit un rival déjà installé et pour le faire partir, il brûle les installations ou les moyens de production. À noter que ces actes peuvent aussi toucher des personnes totalement étrangères aux organisations criminelles.
L'extorsion peut se faire aussi par l'argent. Le clan peut choisir de ponctionner une partie du bénéfice de la structure visée en menaçant de la brûler si les gérants refusent.
Ces incendies et explosions en série remettent sur le devant de scène les guerres entre les clans corses. Comment ces groupes s'organisent actuellement sur l'île ?
Historiquement, vous aviez deux clans, la Brise de Mer au Nord et le clan Jean-Jérôme Colonna au Sud qui se partageaient l'île en deux. À l'époque, les morts étaient justes dues aux individus qui voulaient s'affranchir de ces deux clans. Il n'y avait pas de rivalité entre les deux clans. En 2006, Colonna meurt, il y a des incursions de gens de la Brise-de-Mer au Sud et tout explose. Depuis, tout a été bouleversé. De nouveaux clans sont apparus. Vous avez désormais 25 bandes qui se disputent le territoire en s'entretuant. Cette guerre touche désormais aussi des innocents. Maxime Susini est mort le 12 septembre 2019, devant sa paillote. C'était un ancien militant nationaliste, mais il n'était pas lié au banditisme. En réalité, il a été tué par une bande de région d'Ajaccio, car il s'opposait au blanchiment d'argent du secteur H.O.R.E.C.A.
"Comment l'année 2025 se situe-t-elle en matière d'intensité dans le conflit entre les différentes organisations?"
Je trouve qu'il y a une intensification cette année. Il y a eu beaucoup d'incendies dans des boulangeries, notamment dans une petite commune de 500 habitants, sur des bateaux dans la région de Balagne et à Saint-Florent, à l'entrée du Cap Corse ou encore maintenant de cette école de plongée. Une augmentation qui peut montrer que les clans sont extrêmement dynamiques en matière d'extorsion.
Selon vous, les possibles changements de statut de la Corse pourraient-ils avoir une influence sur cette guerre de clans?
Plusieurs interlocuteurs sur place, dont le collectif Maxime Susini antimafia, me disent qu'il y a vraiment un très haut risque de voir les mafias et l'impunité se développer sur le territoire avec une possible autonomie. Quand l'État français est sur place, le crime organisé est déjà très puissant alors, alors s'il est absent, il y a un vrai risque.
Existe-t-il une solution pour limiter cette guerre de clans et donc les activités d'extorsion?
J'ai participé à la rédaction d'une proposition de loi qui a été déposée au Sénat par la sénatrice Nathalie Goulet dans ce but précis. C'est très difficile de lutter contre l'extorsion, car il faut que la victime porte plainte ou que la personne soit prise en flagrant délit. Ce texte permettrait à la justice de pouvoir confisquer les biens d'une personne dès qu'elle est poursuivie pour association de malfaiteurs (par exemple en vue de commettre une extorsion), et ce même si elle n'est pas condamnée. Nous voulons vraiment défendre cette proposition pour endiguer le phénomène des extorsions.