BFM Business
Aéronautique

Cinq blessés dans un vol vers la Corse: pourquoi les turbulences en avion sont de plus en plus violentes

placeholder video
Face à ce phénomène qui prend de l'ampleur, le monde de l'aérien tente de trouver les contre-mesures et de s'adapter.

Ce mercredi 20 août, de violentes turbulences ont fait cinq blessés à bord d'un vol Air France à destination d'Ajaccio en Corse. Fin juillet, le même phénomène météo a provoqué l'hospitalisation de 25 passagers d'un vol Delta Air Lines reliant Salt Lake City à Amsterdam. Et les exemples de ce type se sont multipliés depuis le début de l'année.

Ces incidents ont parfois des conséquences plus dramatiques: en mai 2024, une personne est morte et une trentaine ont été blessées à bord d'un avion de Singapore Airlines qui a subi de "fortes turbulences" pendant son vol depuis Londres vers la cité-État asiatique.

Selon des données officielles, les turbulences sont la principale cause d'accidents en plein vol liés à la météo, même si les chiffres restent relativement faibles. Entre 2009 et 2024, 207 personnes ont été blessées lors de voyages aériens chahutés. En 2023, elles ont représenté environ 40% de tous les accidents impliquant des gros avions en opérations commerciales régulières.

Une fréquence en hausse de 60 à 155%

Selon Mohamed Foudad, de l'université de Reading, il existe trois types de turbulences: les turbulences convectives, les ondes orographiques et les turbulences en air clair. Les turbulences convectives sont liées aux courants provenant des nuages et des orages, qui peuvent être détectés visuellement ou par radar, tandis que les ondes orographiques ont lieu au-dessus des chaînes de montagnes.

Les turbulences en air clair, en revanche, sont invisibles, et donc plus dangereuses. Elles proviennent, la plupart du temps, de vents d'ouest rapides présents en haute atmosphère, à la même altitude que les avions commerciaux (10 à 12 kilomètres de haut).

Estelle Denis donne rendez-vous aux auditeurs de RMC et téléspectateurs de RMC Story pour son talk-show d’opinions et de débats. Toujours accompagnée de Fred Hermel, Emmanuelle Dancourt, Périco Legasse, Estelle Denis et sa bande s’invitent à la table des Français pour traiter des sujets qui font leur quotidien. Nouveauté cette saison, l'humoriste Vincent Seroussi viendra nous expliquer ce qu'il n'a pas compris dans l'émission dans « Seroussi n'a pas tout compris ». « Estelle Midi », c’est de l’actu, des débats, des coups de gueule, des coups de cœurs, des infos et un zapping des meilleurs moments entendus sur RMC.
On n'arrête pas le progrès : Un avion anti-turbulences - 16/07
4:29

Une chose est sûre, le réchauffement climatique augmente la vitesse et le cisaillement de ces vents d'ouest, des changements brusques dans les courants d'air verticaux, les fameux trous d'air. Tout ceci déclenche les turbulences en air clair.

L'année dernière, Mohamed Foudad et ses collègues ont publié un article dans le Journal of Geophysical Research, analysant des données sur les turbulences de 1980 à 2021.

"Nous constatons une claire augmentation de la fréquence des turbulences dans de nombreuses régions, notamment en Atlantique Nord, Amérique du Nord, en Asie de l'Est, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord", a-t-il déclaré à l'AFP, avec des augmentations allant de 60 à 155%.

Une autre analyse approfondie a attribué cette augmentation dans certaines régions à la hausse des émissions de gaz à effet de serre.

Une étude publiée en 2023 par l'université de Reading a révélé que pour chaque degré Celsius de réchauffement de la surface, les hivers connaissaient une augmentation d'environ 9% de turbulences en air clair modérées dans l'Atlantique Nord et les étés, une augmentation de 14%.

L'hiver a toujours été la saison la plus difficile en termes de turbulences, mais le réchauffement climatique amplifie désormais les turbulences en air clair en été et en automne, comblant ainsi l'écart.

Le réchauffement climatique, un levier puissant

Les vents d'ouest ne sont pas les seuls à subir les effets du changement climatique, qui contribue à l'amplification des orages.

"Le changement climatique pourrait également augmenter la fréquence et la gravité des orages dans les scénarios futurs, et les turbulences rencontrées à proximité des orages constituent un facteur majeur dans les accidents liés aux turbulences", selon Robert Sharman.

Face à ce phénomène inquiétant, le monde de l'aérien tente de trouver les contre-mesures et de s'adapter. Le Japon et d'autres pays souhaiteraient que l'OACI, l'Organisation mondiale de l'aviation civile, améliore la coordination en temps réel du partage des données météorologiques et de turbulences au-delà des frontières.

Mohamed Foudad travaille quant à lui sur l'optimisation des itinéraires de vol afin d'éviter les zones de turbulences et l'amélioration de la précision des prévisions.

Côté passagers, la compagnie aérienne japonaise All Nippon Airways diffuse désormais une vidéo de sécurité au début et pendant les vols pour prévenir les accidents liés aux turbulences. De son côté, Korean Air cesse depuis août de servir des nouilles instantanées (qui nécessitent de l'eau bouillante) sur ses vols longs-courriers, dans le cadre des changements apportés en réponse à l'augmentation des incidents de turbulence.

Reste que la solution la plus efficace en cas de fortes turbulences pour ne pas se retrouver projeter au plafond quand on est passager est de simplement rester bien attaché à son siège pendant tout le vol. Certaines compagnies entendent donc durcir les règles de port de la ceinture pour les passagers.

Un laser à l'avant des avions pour anticiper les turbulences

Les avions, eux, sont fabriqués pour résister aux turbulences les plus agressives tandis que les pilotes bénéficient de formations dédiées qui leur permettent d'anticiper les gros dangers ou de s'adapter en changeant d'altitude ou en réduisant la vitesse de l'appareil.

Dans le même temps, les capteurs, le radar météo et des prévisions météo plus fines permettent de renforcer cette anticipation même si le risque zéro n'existe pas. De nouvelles technologies permettent d'aller plus loin. Boeing teste ainsi un laser placé à l'avant de l'avion qui peut détecter les particules qui produisent des turbulences à une distance de 17 kilomètres.

Enfin, la réduction des émissions de gaz à effet de serre est également essentielle. L'aviation est responsable d'environ 3 à 5% du réchauffement climatique, selon le consensus scientifique. Mais si les compagnies aériennes utilisent des carburants plus propres (SAF) ou des avions neufs moins gourmands en kérosène, les progrès ont été "décevants", selon l'Association internationale du transport aérien.

Officiellement, ce secteur doit être neutre en émission de CO2 (c'est-à-dire tomber à 0%) en 2050, conformément à la décision des 193 États de l'OACI. La Commission européenne, de son côté, impose aux compagnies aériennes différents paliers d'incorporation de SAF: 6% en 2030, 20% en 2035, etc.

Mais pour certains observateurs, ces efforts seront vains. En cause principalement: la hausse continue du trafic qui ruinera mécaniquement les éventuels résultats de ces initiatives.

Selon une étude menée par T&E (Transport et Environnement), "les avions utiliseront de plus en plus de carburants alternatifs, moins émetteurs de CO2 sur leur cycle de vie. Mais même en utilisant 42% de SAF comme exigé par la loi européenne, le secteur brûlera en 2049 autant de kérosène fossile qu'en 2023".

Olivier Chicheportiche avec AFP