"Digne du café du commerce": les avocats de Cédric Jubillar veulent saisir le Conseil supérieur de la magistrature contre le procureur

Cédric Jubillar le 12 juin 2021 lors d'une marche blanche organisée à Albi en souvenir de son épouse - Fred SCHEIBER © 2019 AFP
Cinq jours après la mise en examen de Cédric Jubillar, ses avocats passent à l'offensive. Dans une interview accordée au quotidien La Dépêche ce jeudi, son avocat d'origine Jean-Baptiste Alary et deux nouveaux pénalistes toulousains, Me Emmanuelle Franck et Me Alexandre Martin, s'en prennent directement au procureur de Toulouse, Dominique Alzéari. Ils dénoncent des propos contraires à la déontologie tenus lors de la conférence de presse sur la mise en examen de leur client. En conséquence, ils annoncent vouloir saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Mais ce recours est, pour l'heure, impossible.
"Cédric Jubillar avait un comportement adapté à la situation"
Mercredi, les avocats ont fait appel du placement en détention provisoire de Cédric Jubillar. Selon eux, le comportement et le profil de leur client, par ailleurs père de deux enfants, Louis (6 ans) et Elyah (18 mois), ne correspondent pas à celui d'une privation de liberté:
Dans la nuit de la disparition, aux alentours de 4 heures, "Cédric Jubillar avait un comportement adapté à la situation, adressant des messages d'inquiétude à des proches, appelant les gendarmes et étant décrit par des témoins comme étant affolé et inquiet. Il a appelé sa femme plusieurs dizaines de fois", rappellent-ils.
De son côté, le procureur a estimé justement que son comportement était suspect. D'après la téléphonie, Cédric Jubillar a contacté les gendarmes 16 minutes après s'être rendu compte de la disparition de sa femme, soit un laps de temps réduit. Entre le moment où il se réveille et celui où les gendarmes arrivent au domicile, il effectue, selon les informations issues du podomètre de son téléphone, l'équivalent de 40 pas. Une activité physique très modérée, alors qu'il recherchait sa femme.
Par ailleurs, "le contexte de séparation très conflictuel" dans lequel se trouvait le couple, donnait lieu à de fréquentes disputes, pourrait, selon le procureur, relever "presque de l'ordre du mobile".
De simples suppositions, selon les avocats, qui dénoncent les charges retenues contre lui:
"L'accusation considère que cette femme a été victime d'un homicide. C'est partir d'un postulat que cette femme serait morte. Or, à ce stade, aucun élément de scène de crime n'a été établi. Pas de traces de lutte, pas de traces de sang", soulignent-ils.
"Un propos digne du café du commerce"
La défense déplore aussi une conférence de presse à charge, où le magistrat a tout fait pour présenter le mari de l'infirmière disparue comme responsable, avec "des informations biaisées, parcellaires et parfois mensongères."
"Dans un propos digne du café du commerce, Monsieur le procureur a présenté à la France entière Cédric Jubillar comme un coupable. C'est une charge inadmissible, une conférence de presse scandaleuse en violation des règles de droit et de la déontologie", dénoncent-ils.
Ces derniers font notamment référence aux propos de Dominique Alzéari tenus sur la lessive lancée par Cédric Jubillar le soir de la disparition. "Ce n'est pas la première chose à laquelle on pense quand votre femme a disparu", avait souligné le procureur, pointant un contexte "incongru" alors que "l'état de l'habitation était négligé".
Une hypothétique saisine
Me Alary, Me Franck et Me Martin annoncent donc leur intention de "saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour dénoncer cette situation." Il s'agit d'une procédure disciplinaire visant à dénoncer l'action d'un magistrat et qui peut aboutir à des sanctions à l'encontre de ce dernier.
Toutefois, une saisine du CSM ne peut être lancée contre un magistrat en charge d'un dossier. Une plainte peut effectivement être déposée, mais elle sera systématiquement déclarée irrecevable, d'après les statuts du CSM:
"La plainte ne peut être dirigée contre le parquet qui demeure saisi ou en charge de la procédure", confirme à BFMTV.com le secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature.
C'est seulement une fois l'affaire close -c'est-à-dire à l'issue d'un hypothétique procès- que la plainte pourrait être étudiée. Menacer de saisir l'institution relève donc, avant tout, d'une stratégie de défense. "C’est la première fois que je vois ça", nous glisse-t-on du côté du Syndicat de la Magistrature.