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Police-Justice

Bugaled Breizh: les familles des victimes demandent le rejet du non-lieu

Photo du 13 juillet 2004 montrant le Bugaled Breizh installé sur une barge tirée par un remorqueur, en route pour le port de Brest.

Photo du 13 juillet 2004 montrant le Bugaled Breizh installé sur une barge tirée par un remorqueur, en route pour le port de Brest. - Fred Tanneau - AFP

Comment sont morts les cinq marins lors du naufrage mystérieux du chalutier Bugaled Breizh, en janvier 2004? La question hante toujours les familles des victimes qui sauront mercredi à Rennes si les investigations menées par la justice française vont, oui ou non, pouvoir continuer.

Le 15 janvier 2004, cinq marins du chalutier Bugaled Breizh perdaient la vie en mer au large des côtes britanniques. Depuis, les familles des victimes n'ont eu de cesse de rechercher la vérité. Onze ans après le drame, celle-ci n'est toujours pas connue tandis qu'une ordonnance de non-lieu a été prononcée par les juges d'instruction le 27 mai 2014, il y a presque un an. Une position insoutenable pour les proches des victimes qui réclament que les investigations continuent et se disent prêtes à porter l'affaire devant la justice européenne s'il le faut.

Mercredi, la justice se prononcera à Rennes sur la question, vraisemblablement vers 16 heures. Un "appel de la dernière chance", comme le décrit Me Christian Bergot, avocat des familles. Retour sur une affaire dont les remous sont remontés jusqu'au plus haut sommet de l'Etat et qui conserve encore de larges zones d'ombre.

> Comment le Bugaled Breizh a-t-il été envoyé par le fond?

C'est toute la question. L'avocat général, Pascal Bougy, a rappelé que coexistaient "toujours deux hypothèses" pouvant expliquer le naufrage du chalutier breton. Seule certitude, le bateau avait été retrouvé par environ 80 mètres de fond, au large du cap Lizard (Royaume-Uni) avec 140 mètres de fune (câble) déroulés côté bâbord.

La thèse de l'accident de pêche. La première thèse est celle de l'accident de mer dû à une erreur de pêche. Pour Dominique Tricaud, avocat de Thierry Le Métayer, dont le père Georges était le mécanicien du Bugaled cité par Le Monde, il s'agit "d'une insulte aux victimes". Mais fin 2006, le BEA mer (Bureau Enquêtes Accidents de mer) avait pourtant validé sans réserve cette thèse, concluant que le bateau avait "croché" le fond.

La thèse du sous-marin. La seconde thèse, hormis celle d'une hypothétique collision avec un cargo de fort tonnage rapidement écartée, est celle dite du sous-marin. Les filets du chalutier auraient pu s'accrocher à un submersible militaire qu'il l'aurait entraîné par le fond. Or, ce 15 janvier 2004, des manœuvres de l'Otan impliquant des sous-marins de diverses nationalités, y compris française, se déroulaient dans la zone où le chalutier pêchait, au large de la Cornouaille au sud-ouest de l'Angleterre.

> Pourquoi l'instruction a-t-elle été close?

Le 3 juillet 2013, les juges d'instruction ont décidé de clore leur enquête, rejetant de fait la thèse du sous-marin. Mais comment les magistrats en sont-ils arrivés là? Le 12 avril 2008, ils affirmaient pourtant qu'il s'agissait de l'hypothèse "la plus sérieuse en l'état du dossier". Le 30 avril 2010, la possible responsabilité d'un sous-marin américain avait été évoquée. En juillet, la Cour d'appel de Rennes décidait de "la poursuite de l'information judiciaire dans le but d'identifier le sous-marin en cause". Deux nouveaux juges d'instruction étaient nommés à Nantes. Mais pourquoi ces hypothèses ont-elles été, une à une, réfutées ou abandonnées?

Un sous-marin, ni britannique, ni américain. Le Turbulent, un sous-marin britannique, arrive en pôle position dans la liste sous-marins possiblement impliqués. Mais un rapport d'experts de 2012 a conclu que le bâtiment était à quai, ce 15 janvier 2004. Un sous-marin nucléaire d'attaque américain avait ensuite été soupçonné, et évoqué dans un rapport de Dominique Salles, ancien sous-marinier contre-amiral. Mais la piste de l'accrochage a été écartée en 2013, après une expertise portant notamment sur des traces de titane.

Des traces de titane "non significative". Retrouvées sur la fune (câble d'acier qui tire le chalut) bâbord anormalement étirée, la présence de ces traces avait été révélée par l'hebdomadaire Le Point reprenant les conclusions d'un rapport du Laboratoire national d'essais de Trappes. Ces traces semblaient, en 2006, accréditer la thèse du sous-marin.

Mais en janvier 2013, le parquet de Nantes a jugé après expertise que ces traces n'étaient "pas significatives de la présence d'un sous-marin". Et de préciser qu'"en dehors de deux sous-marins russes conçus dans les années 60, le revêtement extérieur des sous-marins est exempt de toute forme de titane, lequel n'entre qu'en très faible proportion dans les sous-couches de peinture".

> Que demandent les parties?

Les familles. Elles demandent à l'Etat de reconnaître sa responsabilité. "Nous ne sommes pas contre les militaires, nous sommes bien conscients que nous avons besoin de notre armée", plaide Dominique Launay, président de l'association SOS Bugaled Breizh, cité par France 3 Bretagne.

Secret défense? Les familles reprochent aussi au ministère de la Défense d'avoir toujours refusé la déclassification des journaux de bord des bâtiments militaires évoluant à l'époque dans la zone. Une version qu'avait vivement contesté le ministre Jean-Yves Le Drian dans une "clarification" en date du 12 août 2013, consultable sur le site de la Défense.

L'avocat général. La position exprimée par Pascal Bougy lors de l'audience début mars, devant la chambre d'instruction, peut étonner dans le sens où pour justifier le maintien du non-lieu, elle valide l'existence de deux hypothèses (accident de pêche et accrochage par un sous-marin) "extrêmement crédibles" et conclut cependant qu'il fallait "avoir le courage de dire qu'on ne peut pas continuer indéfiniment une enquête quand on a la certitude qu'il n'y a plus la moindre chance de prouver quoi que ce soit". Des déclarations qui résonnent comme un aveu d'échec: "Il reste une large part de doute, la vérité je ne la connais pas, reconnaissait-il. On n'a aucune trace de peinture, de matériau qui permette d'établir un lien de causalité entre la présence d'un sous-marin et le naufrage".

> La confirmation du non-lieu signifie-t-elle la fin de la procédure?

Si elle était prononcée, la confirmation du non-lieu ne signifierait pas pour autant la clôture définitive dossier, estime Me Tricaud, avant la décision en appel. En cas de confirmation du non-lieu, "nous saisirions la Cour de cassation mais aussi la Cour européenne des droits de l'Homme", et cette dernière, "sans attendre la décision de la Cour de cassation", a-t-il assuré.