Après avoir accusé leur père d'inceste, deux frères poursuivis pour diffamation

La cour d'appel de Lyon jugera le 8 avril ce dossier de diffamation. (Image d'illustration) - ROMAIN LAFABREGUE
Début 2021 était publié La Familia grande. Dans ce livre de 200 pages, Camille Kouchner révélait les faits d'inceste commis sur son frère jumeau par son beau-père Olivier Duhamel. Une onde de choc dans toute la société, traduite sur les réseaux sociaux avec le hashtag #Metooinceste. À 49 ans, Pascal, se décide à publier un message sur les réseaux sociaux, dans lequel il affirme avoir lui aussi été victime de son père dans son enfance.
"Il y a eu plusieurs déclencheurs", se souvient cet architecte auprès de BFMTV.com. "Il y a eu une énième thérapie à la suite de laquelle l'événement est revenu puis disparaissait."
"Il a fallu le mouvement #Metoo pour que je réalise que c'était une agression sexuelle", explique-t-il. "Il a fallu le livre de Camille Kouchner et le battage médiatique autour pour que j'arrive à me dire que l'agression de mon père, c'était de l'inceste. C'est un mot violent, j'ai eu besoin de l'extérioriser, de le partager avec mes amis. Il fallait que la honte change de camp."
"La justice n'a pas inversé les rôles"
Son frère aîné Olivier le soutient dans sa démarche. Et repartage son message avec pour commentaire "c'est mon frère", accompagné d'un émoji coeur et "c'est mon père" accolé à une tête de diable.
Pour ce message, les deux frères se sont retrouvés le 16 novembre dernier devant la 6e chambre du tribunal correctionnel de Lyon poursuivis par leur père, un ancien notable de Chambéry (Savoie) aujourd'hui âgé de 77 ans, pour "diffamation". Fin janvier, la justice les a relaxés sur le principe de "la bonne foi". "On a jugé l'agression sexuelle par le biais de la diffamation", estime leur avocat, Me Christian Saint-André.
"Si la justice reconnaît que je ne suis pas un menteur, c'est une façon de me donner raison quand je fais cette dénonciation", estime Pascal.
"Cette décision est à la fois un soulagement et une victoire", renchérit Olivier. "Le fait de dire qu'on s'est exprimé sur le principe de la bonne foi peut être interprété comme si on disait la vérité, cela nous confère le statut de victime et à lui le statut d'agresseur. La justice n'a pas inversé les rôles."
Si les juges estiment "que les prévenus ne font l'offre d'aucune preuve", ils notent que Pascal "évoque surtout sa situation personnelle, sa difficulté à dévoiler des faits anciens et occultés, et à vivre mieux", davantage que le délit reproché à son père. La justice retient le contexte dans lequel a été publié le message pour retenir la la bonne foi et relaxe les deux prévenus.
Des faits anciens
Cette affaire familiale revient devant la justice le 7 avril prochain, le père de Pascal et Olivier ayant fait appel de la décision. Une nouvelle fois, ce dossier est percuté par l'actualité puisque ce vendredi, Coline Berry, fille de l'acteur Richard Berry, est elle aussi poursuivie pour diffamation par Jeane Manson, la compagne de son père au moment des faits qu'elle reproche à ce dernier.
Comme Coline Berry, les faits dénoncés par les deux frères remontent à plusieurs décennies. La famille vivait, selon leur récit, dans une ambiance "gauche post soixante-huitarde, progressiste, libérée". Les deux hommes racontent des scènes dans la salle de bain où leur père s'exhibait nu, ou quand ce dernier leur faisait lire des revues érotiques à l'âge de 5-6 ans. Dans ce contexte "malsain", Pascal évoque cette nuit-là où, enfant, réveillé par un cauchemar, il se rend dans le lit de ses parents. Son père en aurait alors profité pour se frotter contre lui.
Plus globalement, les deux frères décrivent aujourd'hui un climat dans lequel régnait humiliations, dénigrements et violences psychiques. "Notre père était brillant, charmeur mais il fallait l'idolâtrer", raconte Olivier. Pascal se souvient lui de la "carte blanche" donnée à son aîné par leur père pour le frapper. À 17 ans, ce dernier fait une tentative de suicide. Depuis cet âge, il a été suivi par de nombreux thérapeutes pour faire face à "un mal-être profond qui ne s'améliorait pas".
"Pendant des années, j'ai cru que j'étais responsable de ce qui n'allait pas", souffle-t-il, se rappelant du jour où l'un de ses psychologues donne une explication sur sa souffrance, "victime d'un pervers narcissique", dit-il.
Pour le père, "ce décalage dans le temps est difficilement compréhensible", explique-t-il à BFMTV.com. Il évoque plutôt une "énième accusation" dans un contexte familial compliqué depuis une dizaine d'années, en rason, selon lui, d'un conflit financier. À l'inverse, le septuagénaire évoque "une famille fusionnelle, avec une protection abusive réclamée" par ses enfants. "On faisait appel à moi pour régler les problèmes", assure-t-il pour expliquer cette ingérence dans la vie de ses fils.
"Aujourd'hui, ils mettent mon nom de ma famille sur la place publique, ils souillent ce nom, je suis dans l'obligation de le défendre et de laver mon honneur en disant la vérité", martèle le septuagénaire.
"Besoin de reconnaissance"
Pascal dit avoir tenté il y a plusieurs années de le dénoncer auprès de ses proches et notamment de son frère Olivier. "Cela a été compliqué de lui faire comprendre que cet homme n'était pas la gentille personne qu'il connaissait, qu'il y avait un Mr Hyde derrière le Dr Jekyll", affirme le cadet. Olivier entend son frère mais "avait du mal" à l'accepter. Jusqu'au jour où, dit-il, il apprend que son père a humilié son fils au point que celui-ci ne veuille plus voir son grand-père.
Soutenu par son frère dans sa dénonciation sur les réseaux sociaux, Pascal l'a aussi été par une cousine, qui a elle a aussi témoigné de faits d'agression sexuelle. "À partir de ce moment-là, ce n'était plus parole contre parole", estime Olivier. "S'il y a deux personnes qui disent la même chose, il y a bien un agresseur et des victimes en face." En riposte aux poursuites engagées par son père, Pascal a porté plainte. "L'enquête a conclu que les faits étaient plausibles mais prescrits", note Me Saint-André.
"Il y avait un besoin de reconnaissance, quand à la gendarmerie ils m'ont fait remplir le formulaire 'déposition de la victime', ça a été un élément pour me permettre de repartir de tourner la page", dit Pascal, installé depuis quelques années sur l'îIe d'Oléron. "Il fallait que la honte change de camp, ce n'est pas à la victime de se cacher. La démarche était de participer à mon niveau à la dénonciation d'un phénomène."
Le père nie
Lors de l'audience en novembre dernier, le père a nié les faits qui lui étaient reprochés. Il accuse d'ailleurs ses fils d'avoir provoqué son divorce afin de mettre la main sur le patrimoine familial. "Est-ce que la justice médiatique, la justice d'Internet, doit décider de son sort?", avait d'ailleurs dénoncé à l'audience son avocat, Me Thomas Fourrey.
"Depuis dix ans, je subis en privé des agressions de la part de mes fils", accuse le septuagénaire auprès de BFMTV.com. "Des faits que j'ai traités comme des éléments privés car j'estimais que les intérêts de ma famille et de mes petits-enfants étaient supérieurs au désordre public."
"J'avais de la colère de le voir mentir effrontément", se souvient Olivier de ce procès. "C'est encore plus dur car ça reste notre père, cela reste compliqué émotionnellement." "On espérait une réaction, on a beau savoir que ça ne viendra jamais, on a un espoir qu'une part d'humanité refasse surface. Il y a toujours un espoir d'un repenti, d'une compréhension."
Lors du prochain face-à-face devant la justice, Olivier arrivera lui avec le poids d'un souvenir douloureux. Dans les paroles de la chanson L'aigle noir, qui évoque le viol dont a été victime la chanteuse Barbara par son père, le quinquagénaire s'est retrouvé. "C'était juste après le procès", souffle-t-il. "À un moment, il y a un élément déclencheur et on ne peut plus tenir avec ce secret. Mon frère, ça a été le psy, moi c'est une chanson. Maintenant, ce n'est plus possible de ne pas savoir ce qu'il s'est passé."