Alexis Kohler "a vécu dans le silence dès le début"

Laurent Mauduit, journaliste et co-fondateur de Mediapart - BFMTV
Bras droit d’Emmanuel Macron, Alexis Kohler est la cible d'une plainte pour "prise illégale d'intérêts" et "trafic d'influence" envoyée vendredi 1er juin par Anticor au Parquet national financier. L'association anticorruption, s'appuyant sur des articles de Mediapart, dénonce les liens familiaux et professionnels étroits qui existent entre l'actuel secrétaire général de l’Elysée et l'armateur italo-suisse MSC, client important des chantiers navals français de Saint-Nazaire.
"Il a vécu dans le silence dès le début, avant même d'être conseiller ministériel", a estimé sur notre antenne ce lundi Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart et co-auteur de l'enquête.
Et pour cause: en 2010, alors qu'il est sous-directeur à l'Agence des Participations de l'Etat (APE), Alexis Kohler accepte "d'être le représentant de l'Etat au conseil d'administration de STX, les chantiers de Saint-Nazaire, dont à l'époque le seul client c'est MCS, auquel il est lié familialement". La mère d'Alexis Kohler est en effet la cousine germaine des actionnaires du groupe.
"Or il tait à l'époque ces liens et donc accepte de représenter l'Etat à ce conseil d'administration, à tel point que dans ce conseil on va voter en 2010 l'achat d'un bateau de MCS et il dira un peu plus tard [...] avoir voté en faveur de cette commande sur instruction du ministre", a souligné le journaliste de Mediapart.
"Il y a dans le dossier de la commission de déontologie une attestation signée Emmanuel Macron en 2016"
En 2014, il demande pour la première fois à quitter Bercy pour MSC, mais la commission de déontologie rejette sa demande en raison, selon Laurent Mauduit, du vote concernant l'achat du bateau.
"La règle, c'est que vous ne pouvez pas passer au privé dans une entreprise sur laquelle vous avez exercer l'autorité publique", a-t-il expliqué.
En 2016, deux ans après, Alexis Kohler renouvelle cette demande, à laquelle la commission répond favorablement "car les faits incriminés connus étaient ultérieurs à ces trois années".
"Sauf qu'à l'époque, encore une fois, il cache le lien familial", a rappelé Laurent Mauduit qui assure avoir interrogé l'un des membres de cette commission lui ayant confié "que cette omission a été de nature à altérer l'avis de la commission de déontologie". "Ce ne sont pas des magistrats, ils n'enquêtent pas, c'est une autorité administrative qui juge en fonction des pièces dont elle dispose".
L'Elysée a indiqué ce lundi qu'Alexis Kohler, qui a "pris note" de la plainte déposée contre lui, dispose de "l'entière confiance du Président de la République". Mais dans ce dossier, des questions concernent également Emmanuel Macron:
"On ne vise personne, l'important c'est d'établir les faits. Dans les faits, il y a dans le dossier de la commission de déontologie une attestation signée Emmanuel Macron en 2016, en tant que ministre de l'Économie. Donc ça pose une question très concrète et il y a deux cas de figure: soit Emmanuel Macron était informé du lien familial qui était de nature je vous l'ai dit tout à l'heure à altérer l'avis de la commission de déontologie et Emmanuel Macron l'aurait tu. L'autre hypothèse, c'est que ces deux personnes si proches, si amis, l'un des deux, Alexis Kohler aurait caché à Emmanuel Macron le fait qu'il avait un lien familial donc de bout en bout l'histoire pose de très graves questions", a affirmé Laurent Mauduit.
"Il y aurait une grande réforme à faire pour mettre de la morale dans ces transferts"
Selon le journaliste, Alexis Kohler a "accepté" de se mettre dans un "très grave conflit d'intérêts". Et alors que l'Elysée défend ce dernier qui se serait "systématiquement déporté de toutes les décisions ayant trait à cette entreprise (MCS)" tandis que sa hiérarchie "informée" aurait "naturellement veillé au conflit d'intérêt potentiel", Laurent Mauduit rétorque lui qu'il n'y a pas eu de "note de service" à ce sujet:
"Quand un ministre a peur qu'il y ait un conflit d'intérêts, [...] le ministre fait une note à tous ses collaborateurs du cabinet, et a tous les directeurs d'administration centrale en disant: 'Je vous préviens que mon directeur de cabinet ne traitera pas tel dossier. Ça s'est passé avec Laurent Fabius quand il a embauché Bruno Crémel en directeur de cabinet, il venait de PPR et ça s'est fait à nouveau à l'époque de Michel Sapin quand il a pris Thierry Aulagnon qui venait de la Société Générale. Et là [dans le cas d'Alexis Kohler] il n'y a pas eu de note de service. Personne des gens qui ont été dans ce processus de décision [...] n'a été informé qu'il ne fallait pas envoyé des notes en copie à Alexis Kohler."
"Le code pénal sanctionne les passages au privé qui se font dans de mauvaises conditions, mais il n'y a pas de règles légales du passage du privé vers le public et donc on a un problème d'éthique et un problème pénal: il y aurait une grande réforme à faire pour mettre de la morale dans ces transferts", a conclu Laurent Mauduit.