Agression dans le métro à Lille: que risquent les témoins?

Un hall du métro lillois (illustration). - -
Il est près de 22h30 mercredi lorsqu'une jeune femme de 30 ans s'engouffre dans le métro lillois. Sur ses pas, un homme de 19 ans, très alcoolisé. Il la suit jusque sur le quai, la menace, lui tourne autour, puis la touche. Autour d'eux, cinq personnes. Aucun ne bouge. Le métro arrive et l'agression se poursuit. Les témoins, silencieux, montent volontairement dans la voiture d'à côté.
Dans sa version des faits, bouleversante, la jeune femme affirme avoir appelé à l'aide, pleuré, hurlé, en vain. Ces témoins immobiles sont-ils coupables aux yeux de la loi? BFMTV.com vous apporte des réponses.
> Qu'est-ce que la non-assistance?
• Le texte. Il s'agit d'une infraction punie par la loi, et inscrite au Code pénal. Pour qu'elle soit constatée, il faut que la personne visée ait volontairement refusé de porter assistance à "une personne en péril", alors qu'il n'y avait pas de risque pour elle ou pour des tiers. Et ce "par son action personnelle", ou bien "en provoquant un secours".
• La sanction. Elle n'est pas mince si l'infraction est caractérisée par un juge: jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
> Qu'est-ce qui attend les témoins de cette agression?
Le procureur de la République à Lille, Frédéric Fèvre, a demandé aux policiers d'analyser les bandes de vidéosurveillance.
• Première étape: à partir des résultats de l'enquête, le procureur doit décider si les faits sont suffisamment caractérisés pour constituer une infraction de non-assistance à personne en danger.
• Deuxième étape: s'il décide de poursuivre des personnes, ou si la victime porte elle-même plainte et que le magistrat ne la classe pas sans suite, alors les enquêteurs devront trouver l'identité des suspects.
• Troisième étape: si les suspects sont identifiés, le juge du tribunal correctionnel devant lequel ils seront présentés devra décider s'ils sont coupables de non-assistance à personnes en danger, et si oui, quelle peine ils méritent.
> Sont-ils coupables aux yeux de la loi?
La non-assistance à personne en danger peut être difficile à prouver. Dès lors qu'il est établi qu'il existe un "risque" pour le témoin de la scène de porter assistance, il n'est pas tenu d'aider la victime. "Ce risque ne doit pas être fantaisiste. Il doit y avoir la présence d'une arme, une incapacité physique, ou tout autre élément qui justifie réellement un immobilisme. Le texte de loi ne parle pas de 'peur' mais bien de 'risque'", explique à BFMTV.com Me Kudar, avocate pénaliste.
> Dans le cas présent, dans le métro lillois, il y avait la présence d'une arme par destination: la bouteille de vodka que l'agresseur agitait.
En outre, la victime doit être en réel péril, et subir un danger. Si une altercation dans la rue s'en tient à des insultes, on peut considérer qu'il n'y a pas de "péril" grave, et le témoin n'est pas tenu d'intervenir par la loi. De même "si quelqu'un se fait dérober son téléphone à la volée", indique Me Kudar.
> Dans le cas présent, la jeune fille était en péril, car la vidéosurveillance montre l'agresseur sur le quai essayant de l'embrasser, lui touchant la joue. Il a d'ailleurs été condamné pour agression sexuelle jeudi.
> Faut-il punir ou éduquer les citoyens?
Les éventuels poursuivis risquent d'être condamnés pour une raison: n'avoir pas "provoqué un secours". Si ce fait est vérifié, cela les rend coupable aux yeux de la loi. Me Kudar énumère: "Ils devraient alors expliquer au juge pourquoi ils n'ont pas appelé la police avec leur téléphone. Ou prévenu la sécurité du métro à un interphone. Ou même juste alerté le conducteur..."
Me Eolas, célèbre avocat pénaliste sur la toile, joint par BFMTV.com, comprend "la colère que suscite cette indifférence". Mais il met en garde contre le danger "de transformer cet acte en un délit pénal". "Les gens vont alors submerger la police d'appels dès la moindre altercation, par peur d'être poursuivis". Selon lui, mieux vaut jouer sur le tableau de l'éducation civique. Pour éviter que d'autres drames similaires ne se reproduisent.
|||Vidéosurveillance: efficace?
Joint par BFMTV.com, le directeur de la sûreté du métro lillois, François-Xavier Castelain, explique qu'il a 1.700 caméras dans le métro pour "une trentaine d'écrans", surveillés 24h sur 24 par trois agents. Mais la scène dans le métro n'a duré "que 6 à 8 minutes" et n'a pas été repérée par les agents. "Si nous avions été alertés, nous aurions pu intervenir très vite. Peut-être devons-nous mieux communiquer auprès des usagers pour leur dire comment nous prévenir en cas d'agression...", regrette le directeur.