Affaire Sabine Dumont: qu'est-ce que la généalogie génétique, qui pourrait aider à résoudre des cold cases?

Les frères et sœurs de Sabine Dumont, tuée en 1987, ont tenu une conférence de presse au cabinet Seban, lundi 30 juin 2025. - Thomas SAMSON
Les années passent et la famille de Sabine Dumont attend toujours des réponses. La petite fille avait été violée puis tuée à l'âge de 9 ans, le 27 juin 1987, et son meurtrier n'a jamais pu être identifié.
Trente-huit ans plus tard, alors que le pôle "cold case" de Nanterre a repris le dossier en main, ses cinq frères et sœurs ont tenu avec leurs avocats Mes Didier Seban et Marine Allali, une conférence de presse ce lundi 30 juin. Ils annoncent que le gouvernement a donné son feu vert pour utiliser une technique encore controversée en France: la généalogie génétique. "Les derniers blocages ont été levés il y a dix jours", a indiqué Me Seban. Auprès de BFMTV.com, une autre source proche du dossier confirme que cette demande est en passe d'aboutir.
"Il ne s'agit pas de susciter l'émotion, mais d'obtenir ce que nous attendons depuis longtemps: la justice et la vérité", a commenté l'une des sœurs de Sabine Dumont.
Une trace ADN inconnue
Le 27 juin 1987, Sabine Dumont, 9 ans, disparaît alors qu'elle est partie acheter de la peinture à une vingtaine de minutes à pied de son domicile. Les heures passent et les parents de la petite fille, sans nouvelles d'elle, préviennent les autorités. Des recherches sont lancées pour retrouver sa trace. Son corps sera finalement découvert sans vie le lendemain, abandonné non loin d'une route située à trois kilomètres de chez elle.
L'autopsie révélera que la fillette a été violée avant d'être tuée. Si les enquêteurs disposent du sperme du suspect, faute de moyens technologiques suffisants à l'époque, impossible d'exploiter cet ADN. Il sera, des années plus tard, confronté à tous les profils inscrits au Fichier national des empreintes génétiques (le FNAEG, qui recense l'ADN de tous les auteurs d'infractions en France). Mais il ne correspond malheureusement à aucun criminel connu.
En 2016, comme l'avait révélé Le Parisien, la Police judiciaire de Versailles, alors en charge du dossier, utilise une autre technique: l'ADN de parentèle. "L’ADN d’un individu est contenu dans des chromosomes organisés en paires: pour chaque paire, un chromosome provient du père et l’autre de la mère. Les enquêteurs peuvent donc, parmi les individus enregistrés au FNAEG, identifier des profils génétiques qui comportent une partie du profil génétique de la trace inconnue, et ainsi identifier un potentiel parent ou enfant", explique à BFMTV.com le colonel Francis Hermitte, chef de la division criminalistique biologique génétique de l'IRCGN.
"Après cette première étape, un long travail de recherche s'ensuit pour vérifier quel candidat peut réellement correspondre ou non", indique-t-il.
L'ADN de parentèle, autorisé mais limité
Si ces recherches dans le cadre de l'affaire Sabine Dumont n'ont finalement rien donné, elles ont permis dans certains dossiers de mettre la main sur le coupable. C'est le cas du viol et du meurtre d'Elodie Kulik, dans la Somme, en 2002. Grâce à un ADN retrouvé sur le corps de la victime, les gendarmes sont parvenus à retrouver le père de l'un des agresseurs, fiché au FNAEG, et sont par ce biais remontés jusqu'aux agresseurs.
Un procédé encadré légalement en France, qui peut faire avancer des investigations... à condition qu'un ascendant ou un descendant direct (un parent ou un enfant) ait commis une infraction et soit inscrit au FNAEG. Une limite à laquelle se heurtent beaucoup de dossiers criminels.
Pour Mes Seban et Allali, qui représentent les proches de Sabine Dumont, la solution viendrait donc d'une autre méthode, beaucoup plus efficace et fiable: la généalogie génétique, qui permet d'étendre les recherches à des membres de la famille bien plus éloignés.
Des tests "récréatifs" aux Etats-Unis
Cela fait plusieurs années que la technique est utilisée aux Etats-Unis, où les enquêteurs ont régulièrement recours à des entreprises de généalogie génétique, à l'image de MyHeritage ou GEDMatch, qui proposent à des particuliers des tests dits "récréatifs" afin de reconstituer leur arbre généalogique, à partir de leur ADN.
"Ces sociétés privées vendent des kits ADN récréatifs. On met sa salive dans un contenant, on l'envoie à la société et elle établit notre profil génétique. Ça alimente leur base de données", résume le colonel Francis Hermitte, de l'IRCGN.
Comme pour l'ADN de parentèle, à partir de la trace ADN dont ils disposent, les enquêteurs peuvent ainsi consulter leur base de données, et, parfois, remonter à des ascendants ou des descendants de la personne qu'ils cherchent à identifier, mais cette fois sans se limiter aux parents ou aux enfants. "On peut remonter très loin, avec une grande fiabilité, jusqu'aux cousins au 5ème degré", précise encore le colonel Francis Hermitte.
En 2018, ce procédé avait permis de mettre l'un des plus importants tueurs en série américain derrière les barreaux, des années après son premier passage à l'acte. Pendant 10 ans, entre 1976 et 1986, le "Golden State Killer" a semé son ADN en commettant une cinquantaine de viols et douze assassinats en Californie. Le mystère avait finalement été éclairci grâce à la généalogie génétique: l'homme n'était autre que Joseph James DeAngelo, policier à la retraite âgé de 72 ans.
Le "prédateur des bois" identifié grâce à des cousins
Cette technique a déjà fait ses preuves dans un premier cold case français, l'affaire d'un violeur en série qui a sévi en Charente-Maritime et en région parisienne entre 1998 et 2008. L'homme avait été surnommé le "prédateur des bois" en raison de son mode opératoire: à l'époque, l'inconnu enlève ses victimes, des jeunes filles âgées de 15 à 19 ans, et les emmène dans des zones boisées afin de les violer.
À chaque nouvelle victime, les enquêteurs parviennent à récupérer l'ADN du violeur. Mais ils se heurtent toujours à la même inconnue: confronté au Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), le profil génétique ne matche avec aucun auteur d'infraction enregisré. Impossible donc de poser un nom sur l'auteur des faits.
Dans l'impasse, les policiers de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), chargés de l'enquête, décident d'innover. Ils envoient l'ADN inconnu à divers pays européens, puis se tournent vers les Etats-Unis. Leur idée finit par payer: en 2021, le FBI leur renvoie une correspondance avec deux cousins du violeur, ayant réalisé des tests récréatifs.
"Ensuite, ils ont mis en œuvre des techniques policières beaucoup plus classiques, en organisant des auditions, en distinguant les suspects par rapport à leurs âges, leurs parcours de vie ou les caractéristiques physiques rapportées par les victimes. C'est ce qui les a ensuite conduit au suspect le plus plausible, Bruno L.", raconte Me Fares Aidel Sehili, qui représente la première victime connue du "prédateur des bois", violée à l'âge de 16 ans en 1998 dans la région de La Rochelle. Fin 2022, Bruno L. est interpellé, et après plusieurs auditions, finit par reconnaître les faits.
En France, "commander un test est puni par la loi"
Si la généalogie génétique a porté ses fruits dans ce dossier, son utilisation est très à la marge dans notre pays, détaille le colonel Francis Hermitte. Pour la simple et bonne raison que les sociétés privées réalisant des tests ADN récréatifs y sont interdites, au regard de la protection des données. "En France, la loi bioéthique interdit à un particulier de réaliser des tests dits récréatifs. Rien que de commander un test est puni par la loi."
Parce que la généalogie génétique n'a pas de cadre légal en France, la défense du "prédateur des bois" aurait pu déposer des recours pour dénoncer la manière dont Bruno L. a été identifié. "On ne l'a pas redouté, mais on a immédiatement réalisé que ça pouvait être un enjeu. Cela a apparemment été envisagé par sa défense mais lui (le "prédateur des bois", ndlr) n'aurait pas souhaité initier ce recours. Il aurait expliqué vouloir assumer et répondre de ses actes. Aucune juridiction ne s'est donc prononcée à ce jour", commente Me Fares Aidel Sehili.
Et il n'y aura finalement pas de débat sur ce point: Bruno L. s'est donné la mort dans sa cellule à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne) en mars 2024, entraînant de facto la clôture du dossier.
Une technique "redoutable" mais "à encadrer"
Malgré l'interdiction des tests ADN récréatifs, on estime que 1,5 millions de Français sont déjà passés outre les règles en commandant des kits dans des pays étrangers afin de découvrir leur arbre généalogique. Autant de profils génétiques que les autorités françaises pourraient exploiter afin de résoudre certains crimes, pensent Mes Seban et Allali. Car si l'affaire Sabine Dumont va pouvoir en bénéficier, d'autres dossiers se sont vu refuser leur demande.
"On demande que la coopération internationale soit facilitée, voire de pouvoir nous-mêmes consulter les fichiers américains", résume les deux avocats. Avec pour horizon de pouvoir, à terme, utiliser la généalogie génétique directement à partir d'une base de donnée française.
"Ces techniques d'enquête doivent être sécurisées à l'avenir car elles sont redoutables et ont un grand intérêt pour les victimes" à condition d'être bien encadrées, abonde Me Fares Aidel Sehili, l'avocat de l'une des victimes du "prédateur des bois".
Tout comme les avocats des proches de Sabine Dumont, il préconise de les "limiter par exemple aux dossiers les plus graves, où toutes les autres investigations ont été tentées, en ultime recours."
Côté gendarmerie, on se dit aussi "prêt" à utiliser la généalogie génétique une fois que toutes les barrières seront levées par le gouvernement. "La gendarmerie nationale a le matériel pour mettre en œuvre cette technologie. Le jour où le cadre légal permettra de comparer un résultat avec une base de données, on sera prêt", note le colonel Francis Hermitte.