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Police-Justice

36 quai des Orfèvres: les deux policiers de la BRI condamnés à 7 ans ferme pour viol en réunion

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Les deux anciens fonctionnaires de la BRI accusés d’avoir violé une touriste canadienne dans leur bureau en 2014 ont été déclarés coupables de viol en réunion. Leurs avocats ont indiqué qu'ils allaient faire appel de ce jugement.

Les deux policiers de la BRI accusés d’avoir violé une touriste canadienne dans leur bureau du 36 quai des Orfèvres en 2014 ont été déclarés coupables de viol en réunion jeudi et condamnés à sept ans de prison ferme jeudi. Pendant trois semaines, et malgré l’analyse des pièces à conviction, ce sont les accusations mutuelles qui ont rythmé les débats. Parole contre parole.

Dans sa plaidoirie, mardi, une des avocates de la plaignante avait d'ailleurs résumé la crainte qui l’habitait depuis le début de l’audience: que ce procès devienne celui de la victime. De très nombreuses heures d'audience ont effectivement été consacrées au passé, à la personnalité, aux addictions et aux fréquentations de la plaignante, dont la parole a beaucoup été questionnée.

Incohérences dans les récits

Ont été abordés: le minishort, les collants résille et les talons d’Emily S., qui ce soir d’avril 2014 s’est rendue au Galway, un bar situé en face du 36. D'autres éléments, tels que sa consommation d’alcool, son comportement aguicheur, les baisers échangés avec des policiers habitués de ce pub irlandais, ont été disséqués.

“Je ne comprends pas en quoi cela a un rapport avec le fait que j’ai donné mon consentement ou non plus tard”, a dû rappeler la plaignante.

C’est finalement un expert psychiatre qui est venu trancher la question insidieuse qui s’était petit à petit infiltrée au coeur des débats: “On peut avoir embrassé quelqu’un à 9 heures et avoir été violé à 10 heures”.

Plusieurs incohérences dans le récit d’Emily S. ont aussi fragilisé sa version des faits. Dès sa première prise de parole à la barre, la Canadienne, aidée d’un interprète, a déclaré avoir “tout fait” pour oublier les détails de cette nuit-là. La jeune femme avait notamment expliqué avoir été agressée par quatre personnes, avant de dire qu’ils n’étaient en fait que trois dans ce bureau de la BRI. “Il n’y a pas deux versions”, a cependant défendu Me Stasi, l’autre avocat d’Emily S., avant de rajouter: ‘il y a une version avec une incertitude”.

"Pas de troubles mythomaniaques"

Ces plaidoiries sont intervenues après une matinée particulièrement difficile pour Emily S., pendant laquelle le président a lu les dépositions d'une serveuse du pub:

"Elle faisait comprendre qu'elle aimait le sexe", avait-elle dit aux enquêteurs le 24 avril 2014. Cette serveuse était "convaincue que c'était une relation sexuelle consentie au début et que ça a ensuite mal tourné". Emily S. a, selon elle, "perdu le contrôle de l'orgie".

Les témoignages de son ancien employeur, qui a déclaré qu’elle avait “toujours des drames exceptionnels à raconter” ou celui de son ex-mari, intervenu par visioconférence, ont également contribué à déstabiliser la plaignante. “Elle disparaissait parfois plusieurs jours d'affilée, prenait de la drogue, faisait beaucoup la fête", a notamment expliqué l'homme avec lequel Emily S. a été mariée quatre ans.

Pendant les débats, ce sont les psychiatres qui sont venus en aide à la partie civile. Selon leurs conclusions, Emily S. ne présente “en aucun cas des troubles mythomaniaques ou affabulateurs” et ne “simulait pas les symptômes et n’a pas essayé d’embellir son histoire” ont-ils affirmé pendant l’audience.

Les pièces à convictions

Et puis il y a des preuves tangibles, scientifiques: les pièces à convictions. Un des accusés, Antoine Q. n’a pas réussi à expliquer pourquoi on a retrouvé son ADN dans le vagin de la plaignante sur un prélèvement effectué à une profondeur de 8 à 10 centimètres, ou encore comment l’ADN d’Emily S. a pu se retrouver au même endroit qu’une trace de son propre sperme dans le caleçon qu’il portait ce soir-là. La téléphonie montrerait également que les policiers se sont concertés, qu'ils ont "modifié la scène de crime", selon les parties civiles. Mais il y a aussi les vidéos du pub où la Canadienne a rencontré les accusés.

"Avant de faire passer Emily S., pour une partouzeuse, on a essayé de faire croire qu'elle avait embrassé tout le monde. Mais non, ce n'était pas vrai", affirme Me Stasi.

Nicolas R., l’autre accusé, aurait pour sa part effacé photos et vidéos enregistrées dans son téléphone la nuit des faits, ainsi que plusieurs SMS et tout son journal d’appels.

Un troisième témoignage de policier

Dans les images de vidéo-surveillance filmées devant le 36, qui ont été diffusées aux assises de Paris, on voit d'abord Antoine Q. entrer dans le célèbre bâtiment, ancien siège de la police judiciaire. Nicolas R. et la Canadienne Emily S. fument une cigarette en parlant au planton, avant d'entrer à leur tour dans les locaux à 00h40.

"Dans l'escalier, on se tient la main", raconte Nicolas R., 49 ans, qui parle d'un moment "festif", "affectueux". Le policier ferme la porte de son bureau "pour plus d'intimité". Des caresses sont échangées. Elle lui aurait dit que, comme lui, elle avait une "sexualité libérée" et ils auraient parlé échangisme. Il envoie un SMS à un collègue, Sébastien C., à 01h04, qu'il effacera quelques heures plus tard: "ça est une touseuse (partouzeuse, NDLR), dépêche".

"N'est-ce pas une invitation à une partouze?", interroge l'avocat général Philippe Courroye. "Vous êtes-vous assuré que Mme S. était d'accord pour un plan à plusieurs?". "Non, mais on ne lui aurait rien imposé", se défend l'accusé.

La vidéo montre un troisième homme, Sébastien C. arrivé au 36 à 01h09. Sept minutes plus tard, il fait une vidéo avec son téléphone. Les experts ne sont pourtant pas parvenus à reconstituer le contenu de cette vidéo, elle aussi effacée. "Qu'a-t-il filmé?", interroge le représentant de l'accusation, sans obtenir de réponse. Sébastien C., entendu comme témoin, assure qu’il n’a jamais couvert qui que ce soit. Il déclare à la barre: “C’est une menteuse. Je suis convaincu depuis le début qu’elle fait de fausses déclarations”.

7 ans de prison

Mais si les accusés nient tout viol, leurs déclarations présentent également des incohérences. Au moment de sa déposition, Antoine Q., omet par exemple une pénétration digitale, dans la voiture qui menait les deux policiers et la Canadienne du Galway au 36. Ce n’est qu’en octobre, une fois informé de l’expertise génétique qu’Antoine Q. a admis qu’il y avait bien eu une pénétration digitale "consentie" selon lui.

Mais c’est peut-être en une phrase qu’a tenu tout l’argument - irrévocable - de la plaidoirie de Me Stasi, avocat de la partie civile, selon lequel: un “oui” voulait dire “oui”, un “non” voulait dire “non”. Mercredi, au terme des plaidoiries, l'avocat général a requis une peine de sept ans d'emprisonnement l'encontre des deux policiers.

"Ce soir-là, ils n'étaient pas la police mais des usurpateurs indignes de brassards et ils se sont comportés comme ceux qu'ils pourchassent. Ce soir-là, ils avaient basculé du mauvais côté", a notamment déclaré l'avocat général Philippe Courroye.

Appel et demande de remise en liberté

Après délibération, le jury a décidé de suivre les réquisitions de l'avocat général. Les deux policiers ont été condamnés jeudi à sept années d'emprisonnement par la cour d'assises de Paris. "Ils ont été reconnus coupables du viol en réunion d'Emily S.", a déclaré le président de la cour d'assises, Stéphane Duchemin. La cour a été "convaincue" par "les déclarations constantes de la victime" et par "les éléments scientifiques et techniques", dont les expertises ADN et les analyses de la téléphonie, a ajouté le président. 

À la sortie de l'audience, les avocats de la partie civile ont salué une "décision juste". Les avocats des policiers ont pour leur part immédiatement annoncé leur intention d'interjeter appel. Ils devraient également effectuer une demande de remise en liberté des deux policiers.

Valentine Arama