"Intervilles", "Le Juste prix", "Le Bigdil": pourquoi la télévision recycle ses jeux cultes

Affiches d'Intervilles, du Juste Prix et du Bigdil, émissions cultes relancées à l'antenne ces derniers mois. - France 2 / M6 / RMC Story
Après plusieurs années d'absence, Intervilles fait son grand retour à la télévision. L’émission culte imaginée par Guy Lux, relancée cette fois par Nagui à la production et à la présentation, revient en direct sur France 2 dès le jeudi 3 juillet. Deux villes françaises s’y affronteront comme à la grande époque, dans une ambiance festive et bon enfant.
Ce retour très attendu par les fans du programme, illustre une tendance qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans le paysage audiovisuel: celle de la résurrection d'anciens programmes cultes à la télévision.
Depuis quelques mois, les chaînes se livrent à une véritable opération nostalgie. TF1 a relancé la Star Academy et Secret Story tandis que M6 a ressorti à tour de bras des émissions phares des années 90-2000 à l'instar du Juste Prix, du Maillon Faible, de Que le meilleur gagne ou encore de La Roue de la Fortune
De son côté RMC Story (filiale du groupe RMC BFM) a remis Le Bigdil au goût du jour. Même les plateformes surfent sur cette vague, comme Prime Video qui a relancé fin 2024, le télécrochet de M6, Popstars.
Des émissions "doudous" pour rassurer
Cette multiplication des vieilles émissions ne doit rien au hasard. Selon Maxime Guény, journaliste spécialisé dans l'actualité télévisuelle, le retour de ces émissions cultes dans les grilles des programmes traduit une stratégie de la part des chaînes et des diffuseurs de miser sur des formats réconfortants dans un contexte sociétal anxiogène.
"En télévision, tout est cyclique et ce qui a relancé la machine c'est le retour de la 'Star Academy' il y a trois ans", estime le spécialiste interrogé par BFMTV.com.
"Depuis, les producteurs surfent sur le concept des émissions doudous: des programmes qui procurent une sensation de réconfort et de nostalgie car ils rappellent une époque plus simple, où nous étions bien dans nos vies, une sorte de Madeleine de Proust".
Et pour optimiser le succès de ces émissions à l’antenne, les chaînes tentent de préserver au maximum les éléments qui ont fait la popularité de ces programmes. La Star Academy ou Secret Story ont ainsi retrouvé leurs génériques cultes, tandis que Le Bigdil a fait revenir sa mascotte emblématique, l’extraterrestre Bill, toujours incarné par Gilles Vautier et son animateur phare Vincent Lagaf'. Le Juste Prix, a quant à lui conservé certaines de ses épreuves mythiques, à l'instar du fameux Tyrolien ou du Fakir.
"Toutes les revivals qui ont un succès aujourd’hui sont ceux où les ingrédients de l'époque ont été conservés, les mêmes visuels, les mêmes génériques, les mêmes mécaniques. C’est ça qui fait le succès", souligne Maxime Guény.
Séduire une nouvelle génération
Toutefois ces nouvelles versions ne se contentent pas d’être de simples copier-coller des émissions d'origine. Ces formats cultes font peau neuve, ils sont dépoussiérés et modernisés pour être "plus en phase avec les attentes actuelles et séduire la nouvelle génération", assure Maxime Guény.
Sur M6 les rênes de La Roue de la Fortune et du Juste Prix ont été confiées à un nouveau visage, l’animateur Éric Antoine et les hôtesses du jeu, jugées potiches à l'époque, ont désormais disparues pour s'adapter aux évolutions sociétales.
Dans sa nouvelle version, Intervilles a également fait l'impasse sur ses célèbres vachettes, utilisées à l'origine pour corser les épreuves des candidats, remplacée par une mascotte en peluche, tandis que TF1 s'est adapté aux usages modernes des écrans en proposant aux fans de la Star Academy ou de Secret Story de suivre l'émission en direct quasiment 24h sur 24 via son application TF1+.
Et ces ajustements portent leurs fruits pour les chaînes télé. Lors de son lancement en janvier dernier, le Bigdil a ainsi séduit 1,8 millions de spectateurs, faisant de RMC Story la première chaîne nationale en part d’audience sur les 25-49 ans avec 21,3%.
"Ce sont des audiences exceptionnelles sur les cibles jeunes. Non seulement c’est une cible publicitaire extrêmement stratégique mais en plus ça rajeunit la chaîne", affirme Maxime Guény.
Selon le spécialiste, ce succès auprès des plus jeunes s’explique notamment par la transmission culturelle entre générations, avec des parents qui partagent leurs souvenirs télévisés avec leurs enfants.
"Il y a une certaine fascination de la part de la nouvelle génération par rapport à ces anciens programmes qu’ils n’ont pas connu. Ces téléspectateurs qui n'avaient pas pu forcément regarder ces émissions à l'époque parce qu'ils étaient trop jeunes les découvrent via leurs parents ou via des extraits sur les réseaux sociaux...", précise Maxime Guény.
Vers un manque d'innovation à la télé ?
Pour les chaînes, relancer un programme culte semble ainsi être "de l'or en barre". "D’un aspect marketing, l'émission a une résonnance immédiate dans l’esprit du spectateur, donc c’est beaucoup plus simple pour les chaînes que de partir d’une marque blanche".
Mais sur le long terme cette stratégie a une contrepartie: à force de miser sur des valeurs sûres et des formats déjà connus, les chaînes laissent peu de place à l'innovation et aux jeux inédits.
"La créativité est moins visible à la télévision aujourd’hui parce que certains programmes fonctionnent depuis des années. Pourquoi remplacer les '12 coups de midi', 'La meilleure boulangerie', 'Les enfants de la télé' alors que ces émissions rencontrent toujours le succès et répondent aux attentes du public", note Maxime Guény.
"L’essentiel de la vague créative se trouve aujourd'hui principalement sur les réseaux sociaux: YouTube, Twitch, TikTok et sur les plateformes Netflix, Prime Vidéo...", ajoute le journaliste.
Et quand bien même une chaîne tente de lancer un format original, le succès n’est pas forcément garanti. "Sur dix programmes lancés, seul un ou deux parvient à trouver son public", rappelle Maxime Guény. "Même sur les marchés internationaux comme le Mipcom à Cannes, les nouveaux concepts capables de s’exporter massivement comme 'The Voice' ou 'La France a un incroyable talent', ça court pas les rues".
Si la nostalgie séduit les chaînes de télévision aujourd’hui, elle pourrait donc bien à terme freiner l’émergence des formats de demain dans les grilles des programmes. Reste à savoir si le petit écran saura retrouver son audace créative ou s’il est condamné à recycler indéfiniment ses propres succès passés.
"Là on va arriver à la fin du cycle parce que toutes les émissions auront été ressorties", analyse Maxime Guény. "La prochaine étape, c'est retrouver une vague de créativité à l'intérieur même des émissions déjà en place et puis, ça sera le retour du retour du retour de l'émission qu'on connaît".