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Girl power et nostalgie: comment "Sailor Moon" s'est inscrite au panthéon de l'animation japonaise

Extrait de "Pretty Guardian Sailor Moon Eternal: le film"

Extrait de "Pretty Guardian Sailor Moon Eternal: le film" - Capture d'écran YouTube - Netflix

Netflix dévoile "Pretty Guardian Sailor Moon Eternal", tiré du dessin-animé culte des années 1990. Entre éveil au féminisme, représentation des minorités et parabole de l'adolescence, ce manga a marqué le genre.

Deux longues couettes blondes relevées en chignons, des accessoires pailletés qui lui confèrent des super-pouvoirs et une formule magique gravée dans la mémoire des fans: "Pouvoir du prisme lunaire, transforme-moi!". Trente ans après sa première diffusion, Sailor Moon reste une figure emblématique de l'animation japonaise. Ce dessin-animé-phare des années 1990 se rappelle aujourd'hui au souvenir des téléspectateurs grâce à Netflix, qui diffuse un nouveau long-métrage d'animation en deux parties: Pretty Guardian Sailor Moon Eternal.

Lancé en 1991 au Japon, le manga d'origine signé Naoko Takeuchi suit les aventures d'Usagi Tsukino, une collégienne tête-en-l'air et pleurnicharde qui devient la super-héroïne Sailor Moon pour combattre le mal. Entourée de ses amies justicières, chacune rattachée à une planète du système solaire (Sailor Mercure, Sailor Mars, Sailor Jupiter...), elle protège la Terre d'ennemis venus du fin fond du cosmos, en mini-jupe et talons hauts.

La série animée tirée de la BD a passionné des millions d'enfants à travers le monde dans les années 1990 en mêlant romance, fantastique et action. D'après le Japan Times, elle est devenue l'une des franchises animées les plus lucratives de l'histoire en s'exportant dans une cinquantaine de pays et en multipliant les produits dérivés, qui ont généré 13 milliards de dollars autour du globe. En France, ce sont les jeunes téléspectateurs du Club Dorothée qui ont suivi le programme sur TF1 entre 1993 et 1997. Quant au manga, au ton moins enfantin que la série, il a été traduit en 17 langues et s'est écoulé à plus de 35 millions d'exemplaires, selon l'éditeur japonais Kodansha.

Le renouveau des magical girls

Sailor Moon s'inscrit dans un genre maintes fois exploré par l'animation nippone: celui de la magical girl, la jeune fille dotée de pouvoirs magiques. Beaucoup d'héroïnes de ce type ont vu le jour avant elle sur les écrans japonais, et bien d'autres lui ont succédé. Pourtant, Sailor Moon fait partie des franchises que le temps ne réussit pas à faire tomber dans l'oubli: au Japon, le Sailor Moon Store continue à voir affluer les fans et des Sailor Moon Cafés éphémères se multiplient. En 2014, un reboot animé a vu le jour, Sailor Moon Crystal - dont le film diffusé par Netflix constitue la quatrième saison. Uniqlo a sorti une collection de T-shirts à son effigie en 2019 et enfin, l'année dernière, l'éditeur français Pika a lancé en grande pompe une réédition du manga. Dans le vaste monde de l'animation japonaise, où les écolières magiciennes sont légion depuis les années 1960, Sailor Moon fait figure de référence. En partie parce qu'elle était la première à laquelle les jeunes filles pouvaient réellement s'identifier:

"Avant elle, les magical girls étaient essentiellement des petites filles dont le pouvoir consistait à se transformer en adultes", résume Matthieu Pinon, journaliste spécialiste des mangas et co-auteur d''Un siècle d'animation japonaise' (Ynnis Editions, 2017), en citant les exemples de 'Gigi' et 'Creamy, merveilleuse Creamy'. "Sailor Moon, elle, gardait son âge adolescent quand elle se transformait. En mettant fin à cette scission, elle tordait le cou à l’idée préconçue selon laquelle une fille doit devenir adulte pour régler ses problèmes."

"Une série pour filles qui ressemble à une série pour garçons"

La jeune Usagi se différenciait aussi de ses prédécesseures par le fait que ses pouvoirs ne lui servaient pas à venir à bout de ses soucis personnels; la magie, c'était pour se battre. Et contrairement à ses grandes sœurs, elle menait ses batailles en équipe. Au fil de l'intrigue, Sailor Moon est rejointe par d'autres adolescentes justicières, qui deviennent ses amies dans la vie et ses alliées dans ses combats.

Chacune se distingue par une couleur et détient un pouvoir qui lui est propre. Une esthétique directement inspirée de programmes qui font alors fureur chez les garçons, comme les Power Rangers ou Les Chevaliers du Zodiaque:

"Naoko Takeuchi a repris ce concept pour l’adapter", poursuit Matthieu Pinon. "Sailor Moon est une série pour filles qui, sur le papier, ressemble vachement à une série pour garçons. Pour une fois, les jeunes filles n’étaient pas juste en train de s’amouracher: elles allaient au front. Ce n’étaient plus elles, les demoiselles en détresse."

En présentant une équipe de justicières dans un dessin-animé destiné aux filles, Sailor Moon a favorisé son écho auprès des jeunes admiratrices: "Il y avait tout un panel de personnages riches" décrypte Audrey Maniscalco, co-administratrice du blog Club Shôjo, spécialisé dans les mangas adressés à la gent féminine. "Chacune pouvait s’identifier à l'une des personnalités."

Un éveil au féminisme

Pour Anaïs, c'était Usagi. Cette responsable marketing de 33 ans garde un souvenir vivace de l'héroïne de son enfance: "Elle était complétement girl next door, une vraie ado, elle avait tout le temps faim, elle râlait toujours, elle chouinait, elle était drôle..." Mais lorsqu'elle enfilait les gants, elle devenait une guerrière qui ne reculait devant rien pour venir en aide à ses amies:

C'était à la fois super féminin et super badass de voir toutes ces filles fortes se battre. Je ne me rappelle pas d'autres exemples de ce genre dans les années 1990." Et de faire un parallèle avec une autre héroïne qui a marqué la pop culture, elle aussi investie d'une mission à conjuguer avec sa vie d'adolescente: "J’ai toujours pensé que Buffy m’avait éveillée au féminisme, mais c'était peut-être Sailor Moon. Même si à cet âge-là, je ne l’avais pas intellectualisé."

Précurseure sur les questions LGBT

Si Sailor Moon résonne encore aujourd'hui tant auprès des fans, c'est peut-être aussi parce qu'elle s'est placée à l'avant-garde de la représentation LGBT. Au fil des épisodes, plusieurs personnages homosexuels apparaissent et s'inscrivent pleinement dans l'intrigue. Notamment le couple que forment deux des justicières, Sailor Uranus et Sailor Neptune - Haruka et Michiru à la ville.

"D'autres mangas avaient déjà exploré les amitiés amoureuses dans les années 1970-1980", rappelle Audrey Maniscalco, du Club Shôjo. "Mais dans des intrigues plus réalistes, et surtout moins grand public."

Haruka, surtout, venait bousculer les attirances des héroïnes principales. Le temps de quelques épisodes, son allure androgyne troublait Usagi et ses camarades, pourtant hétérosexuelles: "Sailor Moon nous montrait que rien n'est gravé dans le marbre", s'amuse Matthieu Pinon, qui rappelle que le Japon est un pays conservateur: "Elle a ouvert cette porte-là. C’est un aspect parmi tant d’autres de la série, qui est abordé avec une grande ouverture d’esprit."

Censure occidentale

Si les scénaristes ont pu intégrer deux personnages lesbiens dans un dessin animé grand public des années 1990, c'est sans doute grâce à la pudeur avec laquelle l'homosexualité y est abordée: Haruka et Michiru sont inséparables et se couvent de regards tendres mais elles ne s'embrassent jamais. Pour le monde occidental, c'est déjà trop. En France, Haruka devient un homme sous sa forme civile. Aux États-Unis, le scénario est carrément remanié à grands coups de doublage abusif: Haruka et Michiru ne sont plus amantes, mais cousines. 

Sailor Moon a poussé le curseur encore plus loin dans sa cinquième et dernière saison en présentant ce qui s'apparente à des personnages transgenres. Les Sailor Starlights sont un trio de jeunes hommes qui, lorsqu'ils utilisent leurs pouvoirs, changent de sexe pour devenir des justicières. Les scènes de transformation montrent leurs silhouettes se modifier tandis qu'ils deviennent des femmes pour revêtir leurs habits de super-héroïnes. L'une d'entre elles, sous sa forme masculine, tombe amoureuse d'Usagi. Cette fois, la France et les Etats-Unis passent leur tour: les raisons n'ont jamais été communiquées, mais cette ultime salve d'épisodes n'y a été disponible que des années plus tard.

"C'était l'une des seules séries qui présentait des personnages transgenres sans se focaliser sur le sujet", se souvient Alex, jeune Américain lui-même transgenre, dans un reportage de Vice sur l'écho qu'a eu Sailor Moon au sein de la communauté LGBT. "Ce n'était qu'une facette de leurs personnalités. Ce que j'ai vraiment aimé chez les Starlights, ce qui a vraiment résonné en moi, c'était qu'elles restaient exactement les mêmes personnes, qu'elles soient sous leur forme féminine ou masculine."

Un "manga d'apprentissage"

Enfin, Sailor Moon a marqué durablement ses fans en présentant une double lecture. Usagi découvrait progressivement son passé tragique et les raisons de sa mission, les enjeux qu'elle présentait et les sacrifices qui l'accompagnaient. "Sous le vernis des cinq super-héroïnes qui se battent en mini-jupe, beaucoup de choses deviennent évidentes lorsqu'on se penche dessus", analyse Matthieu Pinon.

"Ça fait souvent râler les fans de Dragon Ball qui ne jurent que par la baston", plaisante-t-il, "mais Sailor Moon était vraiment dans la même philosophie. On monte vers d’autres planètes, ce qui se passe sur Terre fait partie d’un grand tout."

Alice, qui s'est passionnée pour le manga quand elle était petite fille, raconte comment Sailor Moon a contribué à affûter sa curiosité d'enfant: "Il y a eu Sakura, les Pokémons, mais je trouvais que Sailor Moon était au-dessus de tout ça. Il y avait une initiation à l’astronomie, à la mythologie… J'ai commencé à m'intéresser aux planètes, ça m'a ouvert la porte à des savoirs scientifiques. Encore aujourd’hui, quand on me parle de planètes, je vois les Sailors qui y sont associées", raconte cette journaliste littéraire. Elle se rappelle également des dessins de Naoko Takeuchi, qui l'ont marquée, comme d'une "initiation à la beauté".

"Je ne sais pas si on peut parler de 'mangas d’apprentissage', au même titre que les romans, mais je pense que ça a été fondateur. Les valeurs de justice, de bravoure, d'amitié, d'amour... C'était sans doute beaucoup plus intelligent et profond que je ne le pensais à l'époque."

Beaucoup de super-héroïnes japonaises ont perpétué la tradition depuis Sailor Moon. D'abord les enfantines Magical DoReMi ou Sakura, chasseuse de cartes, puis les très sombres Madoka Magica ou plus récemment Wonder Egg Priority. Mais Usagi est sans doute celle qui a contribué à apporter ses lettres de noblesse au genre, comme le conclut Matthieu Pinon: "On considère trop souvent que le public féminin est moins digne que le public masculin. Sailor Moon a été là pour montrer le contraire."

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV