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"Rap macroniste", "les Hidalgo du rap"... pourquoi "Sacré bordel" de Bigflo et Oli agace-t-il tant?

Bigflo et Oli dans le clip de "Sacré Bordel"

Bigflo et Oli dans le clip de "Sacré Bordel" - Capture d'écran YouTube - Bigflo et Oli

Le morceau de come-back de Bigflo et Oli, politique sans être partisan, collectionne les moqueries sur les réseaux sociaux.

En dévoilant mardi Sacré bordel, leur premier single après deux ans d'absence, Bigflo et Oli ne savaient sans doute pas à quel point ce come-back portait bien son titre. Sa sortie donne lieu à un tohu-bohu de réactions moqueuses, déversées par les internautes sur les réseaux sociaux, dans lesquelles ils dénoncent une vision un peu tiède du rap politisé.

L'essentiel des critiques se concentre sur l'absence de prises de position, dans un texte qui veut dresser le portrait de la France d'aujourd'hui: "La police, celle des sales bavures ou celle en première ligne à l’Hyper Cacher?", demande Oli. "Au lieu de pointer les différences de chacun, s'concentrer sur tout c'qu'on a en commun", recommande Bigflo. Autant de messages à mille lieues de l'ADN subversif du rap dit "conscient", porté notamment par Orelsan auprès du grand public ces dernières années.

"Je savais même pas que c’était possible de faire du rap centriste, y’a que Bayrou qui peut aimer ce son", ironise un internaute. "BigFlo et Oli inventent le rap macroniste", renchérit un autre. "C’est vraiment la Hidalgo du rap français. Un rap plus PS que ça tu meurs", plaisante un troisième. Beaucoup de familles politiques énoncées comme des insultes, pour peu d'éloges.

Cette tentative de texte politique n'est pourtant pas la première du duo toulousain, qui ne fait qu'enchaîner les succès publics et critiques depuis ses débuts. Ils avaient brièvement évoqué les violences conjugales dans leur tube Dommage en 2017, ou dénoncé les réticences de l'Europe à accueillir les réfugiés dans Rentrez chez vous.

Appel à la nuance

Avec Sacré bordel, un étrange paradoxe prend forme: dans une chanson qui appelle au recul, Bigflo et Oli signent sans doute le texte le plus clivant de toute leur carrière. C'est ce que pointe du doigt Fred Musa, présentateur historique de Planète rap sur Skyrock et observateur de la scène rap française depuis une trentaine d'années. Pour lui, les deux rappeurs paient leur appel à la nuance, à une époque où il faut avoir un avis:

"Ils nous font redescendre, en disant que tout n’est pas totalement blanc ou noir, qu'on a le droit d’avoir des doutes. C’est ce qui me plaît dans ce morceau. On arrive à un point où il faut constamment être tranché, il n'y a plus de place pour la réflexion. Pour moi, c'est ça que soulève cette chanson. Et ce n'est pas étonnant que ça réagisse: Twitter, c'est justement le réseau où il faut choisir son camp."

On peut voir Sacré bordel comme le morceau du "et en même temps". Mais on peut aussi l'interpréter comme une chanson sur l'incertitude, et la complexité du rapport à la France dans une société fracturée: "J’aime la France, comme une tante avec qui j'suis pas toujours d’accord, qui fait trop peu d’efforts", rappent les deux Toulousains, tout en soulignant être mal à l'aise devant leur "propre drapeau": "Pourquoi j'le vois brandi uniquement à l’étranger ou chez les fachos?". Et d'évoquer, à demi-mot, leur place de jeunes Français issus de l'immigration argentine et algérienne, déchirés entre leur amour pour leur pays et une affection que ce dernier ne leur rend pas toujours: "Elle est belle ma France et son terroir, même si c'est pas moi qu’elle voit dans l'miroir". Pourquoi, alors, cet accueil si agacé du public?

Les gentils garçons du rap français

Sans doute à cause de leur image de bons garçons du rap français qu'ils affichent depuis leurs débuts, de leur complicité ultra-assumée avec leurs parents - qui leur a valu une parodie mémorable de Mister V - à leur soutien au Secours populaire, en passant par les professeurs de leur ancien lycée invités à l'un de leurs concerts. Une posture plus Kendji Girac que Joey Starr qui détonne forcément. Mais aussi, peut-être, en raison de la tradition des revendications politiques très tranchées dans les morceaux de rap:

"Il y aura toujours une partie du public rap qui agira comme 'gardien du temple', avance Fred Musa. "Le rap est devenu une musique populaire, mais pour certains il ne devrait être que politique, conscient, afficher un parti pris. En ce sens, Bigflo et Oli qui remplissent des salles immenses ne font déjà pas partie, pour eux, de la scène rap."

"C'est une dualité qui a toujours existé", poursuit le spécialiste. "Pendant des années, IAM n'a pas interprété Je Danse le Mia sur scène. Ils n'assumaient pas le titre, et mettaient en avant des morceaux beaucoup plus revendicateurs." Autre témoin de cette scission, la sympathie intacte du public de Bigflo et Oli: les commentaires ravis par le morceau se multiplient sur Instagram et YouTube, où la vidéo dépasse le million de vues.

Et d'évoquer, enfin, la possibilité d'un joli pied-de-nez: "Le rap est provocateur, mais il faut chercher où est la vraie provocation. Sortir un morceau comme celui-là au moment de l'élection présidentielle, quand tout le monde doit se faire un avis... ils savaient sans doute ce qu'ils faisaient." L'une des phrases qu'ils rappent sonne effectivement comme une prémonition: "Plus de nuance, que du radical".

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV