Comment Werenoi est devenu une figure du rap français en cultivant le mystère

L'artiste Werenoir dans son clip "CR", sorti en septembre 2023. - Capture d'écran YouTube - Werenoi
Encore inconnu du grand public il y a à peine quatre ans, Werenoi s’est imposé en l'espace de quelques années comme l’un des nouveaux visages du rap français.
Avec son style brut, ses refrains entêtants et une esthétique à la fois soignée et mystérieuse, l'artiste, qui était le plus gros vendeur d'albums en 2023 et en 2024 grâce à ses projets Carré et Pyramide 2 rivalise désormais avec les mastodontes du genre comme Ninho, PLK, Hamza ou Jul.
Cinq projets, des millions d'écoutes et quatre disques de platine au compteur, le rappeur, très discret sur son identité et sur son parcours, poursuit sa lancée et dévoile ce vendredi 11 avril, Diamant noir. Un album qui marque une nouvelle étape dans son ascension.
Soutien de ses pairs
Originaire de Montreuil, Werenoi, dont on ne connaît ni le véritable nom, ni l'âge, se lance dans le rap en 2021. Après quelques freestyles postés sur YouTube, dont les tubes Guadalajara, ou La League, le rappeur attire rapidement l'attention de figures majeures du milieu. Parmi elles, DJ Kore.
Ce DJ et producteur phare du rap, qui a notamment travaillé avec Booba, Kery James, SCH, Niska ou Rim'K, invite Werenoi à participer à l’album En Passant Pécho, bande originale du film éponyme. Une opportunité en or pour le jeune rappeur, qui y voit un véritable tremplin à l'aube de sa carrière.
"Aujourd’hui c'est extrêmement dur d'avoir une exposition très rapide dans le rap français. La seule manière de le faire c'est passer par cette phase de validation par des gens qui sont déjà établis dans le milieu", analyse Mylan Aké, conseiller en communication dans l'agence 135 MEDIA, spécialisée dans l'accompagnement d'artistes.
"Il arrive sur la compile de DJ Kore, qui est un événement dans le rap français, et ça lui permet une exposition très rapide, dès sa première prise de parole", poursuit le spécialiste.
Cette rampe de lancement va propulser Werenoi sur le devant de la scène. En quelques mois, l'artiste va enchaîner les collaborations prestigieuses notamment avec Dosseh ou avec son idole Lacrim sur le titre Señor de los Gallos, qui deviendra le plus gros succès de l'album Persona non Grata. Autant d’apparitions qui lui permettent d’élargir son audience et d’asseoir sa place parmi les nouvelles têtes d’affiche du rap hexagonal.
"Beaucoup de travail, très peu de sommeil"
Grâce à cette visibilité, Werenoi a pu imposer dès ses débuts sa marque de fabrique musicale: une écriture soignée, un flow nonchalant et des mélodies entêtantes mais aussi "beaucoup de travail, très peu de sommeil et beaucoup d'acharnement", comme il le confiait au micro de BFMTV en 2023. Une formule redoutable qui lui vaut des millions d’écoutes sur ses tubes Laboratoire, Pétunias ou Chemin d’or.
"Sa force, c’est qu’il est un excellent artiste et qu’il résonne chez beaucoup de gens, aux quatre coins de la France", analyse Mylan Aké.
Cette efficacité va donner l'opportunité à Werenoi de s'offrir des collaborations prestigieuses dès le début de sa carrière. Dès ses premiers projets, il collabore ainsi avec des figures majeures du rap français comme Ninho, Tiakola, PLK, Maes ou Lacrim.
Et son influence ne se limite pas au rap puisqu'en 2023, lors de son concert au Zénith de Paris, l'artiste convie à ses côtés le chanteur Pascal Obispo pour interpréter une version piano-voix de son hit Chemin d'or.
Dans son nouvel album Diamant Noir, Werenoi met la barre encore plus haut et s'associe aux artistes Damso, SDM et Kalash, mais aussi aux rappeurs américains Gunna et Lil Tjay pour aller conquérir des auditeurs au-delà des frontières.
Personnage mystérieux
Mais ce qui créé l'engouement autour de Werenoi c’est aussi le mystère qui entoure son personnage énigmatique. Contrairement à d'autres rappeurs qui misent sur la surmédiatisation, l'artiste ne donne que très peu d'interviews et reste très réservé sur sa vie personnelle.
Ce choix de communication, qui rappelle la stratégie adoptée par le duo PNL, alimente la fascination du public. Là où d'autres se racontent en détails, Werenoi entretient l'image d'un rappeur brut, qui n'a rien à prouver en dehors de sa musique, comme il le confiait lui-même sur le plateau de l'émission Quelle époque sur France 2 en 2024. "C'est ma musique qui parle, moi j'en dis pas beaucoup".
Prudent, il estimait dans Le Parisien que "à trop parler, tu peux dire ce que tu n'as pas envie de dire". Ajoutant "J’en dis assez sur moi dans mes textes".
"Naturellement, je suis comme ça. C'est pas une image que je me donne", abondait l'artiste au micro de BFMTV en 2023.
Une statégie "cohérente" et "efficace", selon Mylan Aké. "Le fait de ne pas ou peu s'exprimer en interview, ça lui permet de pouvoir continuer à alimenter le mythe. Si demain, il s'exprime en interview et que finalement on a l'impression qu'il y a un gros écart entre l'image qu'on s'est fait lui et ce qu’il est réellement, le personnage il tombe", indique le spécialiste.
Et quand il décide de s'exprimer, Werenoi choisit avec soin les rares médias auxquels il accorde des interviews. Mais là encore, l'artiste diffère de ses confrères et privilégie des interventions dans des médias généralistes comme sur le plateau de France 2, plutôt que sur des plateformes spécialisées dans le rap.
"C'est rare", assure Mylan Aké. "SCH, par exemple, quand il a voulu s’ouvrir au mainstream, il est allé chez Netflix dans Nouvelle École ou tourner des vidéos avec des YouTubeurs comme Squeezie. En faisant ça, Werenoi va chercher un public qui ne l'écoute pas forcément et un public jeune qui peut être conquis".
Artiste créé de toutes pièces
Mais le silence de Werenoi, combiné au succès fulgurant de sa musique suscite aussi des interrogations auprès des auditeurs rap. Certains lui reprochent ainsi d'être trop bien entouré pour un rappeur émergent et l'accusent d'être un "industry plant", un artiste créé de toutes pièces par l'industrie musicale pour s'assurer un succès garanti.
"Le public a l'habitude et aime voir les balbutiements d'un artiste, puis sa montée. Mais dans le cas de Werenoi ça s'est passé tellement vite qu’on n'a pas vu le brouillon. Et comme le public n'est pas capable de remonter le fils, certains imaginent qu’il y a des personnes derrière qui tirent les ficelles", note Mylan Aké.
"Mais, dans l’industrie, créer quelque chose de manière artificielle, surtout dans le rap, on est pas loin de l'impossible. On peut mettre en place beaucoup de choses pour que l'artiste soit vu, mais si c'est pas bon, ça marche pas", assure le spécialiste.
Avec Diamant Noir, Werenoi a donc l’occasion de répondre à ses détracteurs et de prouver que son succès repose avant tout sur son talent et sa vision musicale, bien loin des manœuvres de l’industrie.