Qui est Renate Reinsve, l'éblouissante actrice de "Valeur sentimentale" de Joachim Trier?

Révélée dans "Julie (en 12 chapitres)" en 2021, l'actrice norvégienne de 37 ans crève à nouveau l'écran dans "Valeur sentimentale" de Joachim Trier, Grand Prix à Cannes en mai, en salles depuis ce 20 août. Portrait.

Lorsqu'elle enlace de tout son long sa sœur, tient tête à son démon de père, lui adresse un sourire en coin, court, s'échappe, trop engourdie par le trac, d'une scène de théâtre, écrase une larme, fuit son passé ou sa peine. Partout, toujours, sur chaque scène de son nouveau film, Renate Reinsve étincelle. À l'affiche depuis mercredi du magnifique Valeur sentimentale de Joachim Trier, Grand Prix à Cannes cette année, la récompense la plus prestigieuse après la Palme d'or (attribuée à Un simple accident de Jafar Panahi), l'actrice norvégienne n'est pourtant pas une révélation.

À 37 ans, elle a déjà empoché les honneurs et le prix d'interprétation féminine en 2021 pour son précédent long-métrage (déjà grandiose) avec son réalisateur fétiche Joachim Trier, Julie (en 12 chapitres). Mais Valeur sentimentale est peut-être le film de la confirmation ou de l'envolée. De la grandeur, assumée sans rougir.

Ce drame familial parfaitement mélo narre l'histoire de deux sœurs qui voient leur père (joué par Stellan Skarsgård), réalisateur de renom, longtemps fantôme parental, revenir dans leur vie et tenter de se racheter en proposant notamment à l'une d'entre elles (Renate Reinsve), un rôle dans sa prochaine fiction. Celle-ci le refuse formellement, et le scénario échoue dans les mains d'une jeune actrice hollywoodienne (Elle Fanning).

Il y a des traumatismes, des non-dits, des plans savoureux (l'introduction du film est un chef d'œuvre en elle-même), des contradictions, des ambivalences, des envies d'aller mieux, et mille autres jolies choses.

Côté box-office, Valeur sentimentale s'est très bien lancé dans les salles françaises, cueillant près de 35.000 spectateurs lors de sa première journée sur seulement 252 copies, soit le meilleur démarrage de Joachim Trier, et de loin.

Théâtre, labeur et doutes

Pourtant, la carrière de Renate Reinsve est loin d'être une évidence. L'actrice est née dans la petite bourgade de Solbergelva, à une cinquantaine de kilomètres d'Oslo, de parents officiant dans une chaîne de quincaillerie créée par son grand-père. Loin des livres, de la culture et de l'art, raconte-t-elle dans M Le Mag. Elle parle clairement d'une "enfance pas heureuse", mais sans en dire plus.

Elle ose un jour pousser la porte d'un cours de théâtre, puis est renvoyée de son école à seize ans et s'installe en solo à quelques kilomètres du foyer parental. Elle vivote ensuite en Écosse, enchaîne les petits boulots, commence à se tailler une cinéphilie de marbre (David Lynch en premier lieu) et revient à Oslo.

Là, la jeune femme s’inscrit à l’Académie nationale norvégienne du théâtre en 2009, feuillette Shakespeare ou Tchekhov et commence à se produire sur les planches. Elle fait aussi pour la première fois une minuscule apparition au cinéma, dans Oslo, 31 août de Joachim Trier (déjà) en 2011 (ce qui nécessite tout de même une dizaine de jours de tournage). Mais revient vite au théâtre.

Elle reçoit quelques prix plus ou moins prestigieux, obtient un contrat avec le Théâtre de Norvégien en 2016 et joue dans Hamlet ou Antigone. La Norvégienne décroche aussi quelques rôles dans des séries locales, mais rien de très impressionnant. Elle songe même à arrêter les arts pour apprendre la menuiserie et la charpenterie sous le soleil jaune de l'Italie. "J’avais envie de concret, de réel, de construire des maisons. Tout l’inverse du métier de comédienne qui me semblait fugace, abstrait", confie-t-elle à M le mag.

Julie déchire le cœur

Le destin joue alors sa partition. Joachim Trier la rappelle. Il lui propose un rôle qu'il a écrit sur mesure pour elle dans Julie (en 12 chapitres). Chic. Le personnage de Julie, intrépide, insatiable, amoureuse, élancée mais perdue, en quête d'un je-ne-sais-quoi (serait-ce une liberté ou une place?), un peu vaniteuse parfois, naît soudain. Cette chronique déchirante de la vie d'une jeune femme qui ne sait quelle vie mener, est un carton et réçoit une pluie de récompenses en 2021.

"Il y a beaucoup de charge émotionnelle, de la confusion, de grandes questions, mais tout cela est traité avec beaucoup d'acceptation et de bienveillance, c'est ce que j'adore dans les films de Joachim", analyse la star norvégienne au micro de Télérama, lors de la promo parisienne de Valeur sentimentale.

Depuis, la trentenaire circule dans le cinéma d'auteur norvégien et international. Elle joue notamment dans A Different Man de l'Américain Aaron Schimberg, Another End de l'Italien Piero Messina, la série Présumé innocent sur AppleTV+ ou dans Le Convocation du prometteur Norvégien Halfdan Ullmann Tøndel, passé par la Croisette l'an passé. Petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullman, ce dernier n'est autre que le compagnon de Renate Reinsve depuis plusieurs années.

Plus récemment, la comédienne a joué dans le nouveau long-métrage du Roumain Cristian Mungiu, auréolé de la Palme d'or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Et s'apprête désormais à s'envoler pour les États-Unis où elle tournera dans The Backrooms du vingtenaire américain Kane Parsons, avant, qui sait, de peut-être retrouver un certain Joachim Trier.

Estelle Aubin