"Les Méchants", comédie grinçante de Mouloud Achour sur les dérives de la France post-attentats

Roman Frayssinet et Djimo dans "Les Méchants" - Le Pacte
Visage bien connu des abonnés de Canal+ et animateur de l'émission Clique, Mouloud Achour se lance dans le cinéma. Celui qui fut il y a une dizaine d'années figurant dans Le Choc des Titans et acteur dans Cyprien a coécrit, coproduit et coréalisé avec Dominique Baumard Les Méchants, une comédie grinçante sur les fake news à l'heure des réseaux sociaux et la difficulté du vivre-ensemble dans une France post-attentats repliée sur elle-même.
Porté par les humoristes Roman Frayssinet et Djimo, cette satire suit les déboires de jeunes de banlieue transformés malgré eux en ennemis publics numéro un. Après avoir volé une console de jeux vidéo à des migrants, Sébastien (Roman Frayssinet), tente de la revendre à Patrick (Djimo). Mais un rappeur tout juste sorti de prison (Antoine Bajon), des experts douteux et une journaliste d'une chaîne d'info (Ludivine Sagnier) prête à tout pour faire le buzz s'en mêlent et tout dérape. "On a voulu s'emparer d'une actualité comme l'aurait fait South Park", résume Mouloud Achour, qui revendique des influences très diverses.
Il a ansi baptisé ses deux héros en référence à l'animateur du Grand Bluff: "C'est grâce à Patrick Sébastien qu'on a découvert Albert Dupontel! Ça veut dire qu'on peut utiliser un média populaire pour faire passer des messages!", s'enthousiasme le réalisateur qui se réclame aussi de la comédie noire argentine Les Nouveaux Sauvages (2014) et Kids Return (1996), drame criminel signé Takeshi Kitano. La naïveté de Patrick et Sébastien rappelle enfin celle de Goku dans Dragon Ball.
"Inclassable politiquement"
Mouloud Achour a écrit Les Méchants en 2016 en réaction aux attentats de 2015. Bien que le film ait été tourné en 2018, et que sa sortie ait été repoussée en 2021 à cause de la pandémie, le timing est, selon lui, parfait: "Ce qui est fou, c'est qu'il y a des répliques qui depuis ont été dites sur des plateaux de télé. Il y a des scènes qui se sont réellement produites. La fin du film, surtout, est pile dans l'actualité."
A quelques mois d'une campagne présidentielle qui s'annonce marquée par la présence d'Eric Zemmour, cette fin qui raconte l'avènement politique d'un chroniqueur télé a des allures de prophétie:
"Elle paraissait surréaliste il y a deux ans. On l'avait montré à des gens qui ne comprenaient pas où on voulait en venir et là au regard de l'actualité ils nous demandent comment on l'a anticipé!"
Si Mouloud Achour assure se moquer "de toutes les opinions politiques" et avoir réalisé un film "inclassable politiquement", Les Méchants est bien politique, notamment dans sa manière de questionner le rôle des médias dans le débat démocratique et la montée des extrémismes. Le réalisateur le concède à demi-mot: "Il y a un acteur qui a refusé le rôle joué finalement par Djimo car il trouvait le film trop politique."
Les Méchants est selon lui "une déclaration d'amour au journalisme, un des derniers remparts de la démocratie": "Je suis content que ce film sorte avant la présidentielle, parce qu'on veut faire comprendre qu'il faut arrêter de consommer l'actualité et la politique comme on consomme de la musique et du divertissement. Le mélange entre l'actualité et le divertissement commence à devenir dangereux pour la démocratie. Les réseaux sociaux et l'actualité font très mauvais ménage."
"Au lieu du bruit [de plateaux TV, des réseaux sociaux], ce serait pas mal que les gens lisent les programmes et aillent voter", insiste le réalisateur. "Avec ce film, on veut dire aux gens d'arrêter de faire du bruit et de faire exister la démocratie en silence - quelle que soit leur opinion politique. Je préfère que ça se passe dans les urnes, mais que tout le monde aille voter, comme ça on aura un vrai visage de la France et le bruit ne sera pas dicté par ceux qui parlent le plus fort."
La question de la parole est centrale dans ce film où le buzz autour des faux méchants est alimenté par des fermes à clics situées aux quatre coins du monde: "Les vrais gens qui font du mal au journalisme et à la démocratie, ce ne sont ni les journalistes ni les patrons de médias, mais ces grosses boîtes qui au fin fond de la Silicon Valley ciblent de façon précise les gens en fonction de leur opinion politique et de ce qu'ils consomment. En nous faisant croire qu'on a la parole sur les réseaux sociaux et qu'on peut s'exprimer gratuitement, on n'est rien d'autre qu'un produit."
En réunissant au sein du même film le rappeur Heuss l'enfoiré, l'écrivain et réalisateur psychédélique Alejandro Jodorowsky (L'Incal), l'humoriste star des années 1990 Pierre Palmade et plusieurs humoristes vus dans Clique (Hakim Jemili, Redouane Bougheraba), Mouloud Achour dénonce aussi l'uniformisation du cinéma français: "On a tendance à donner aux gens les mêmes univers. C'est bien que les gens et les références se mélangent."
Les Méchants est un film court, d'à peine une heure et quinze minutes, car "au bout d'un moment, on se fait chier dans une comédie", précise Mouloud Achour. "Je trouve que quand on a dit ce qu'il avait à dire, ça suffit. Et puis c'était un premier film, je n'avais envie de soûler les gens." Il réfléchit déjà à une suite des Méchants. Intitulée Les Gentils, elle sera constituée d'un casting majoritairement féminin.
Pendant des années, Mouloud Achour a demandé aux artistes qu'il interviewait leur définition d'une clique, en référence au nom de son émission. Avec Les Méchants, il semble enfin donner sa réponse à cette question: "Une clique, c'est réunir tous les gens qu'on aime pour parler au maximum de gens possible. On ne veut exclure personne de notre clique. On veut même que ceux qui ne sont pas d'accord avec nous viennent rigoler sur ce film et passent un bon moment grâce à nous."