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"Le Sommet des Dieux": comment des Français ont adapté au cinéma un monument du manga

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Le réalisateur Patrick Imbert adapte sur grand écran le manga de Jirō Taniguchi. Un défi qu'il raconte à BFMTV, à l'heure où le cinéma d'animation adulte peine à s'imposer en France.

L'un des films d'animation français les plus singuliers et les plus impressionnants de ces dernières années sort ce mercredi au cinéma. Adaptation d'un manga de Jirō Taniguchi vendu à 380.000 exemplaires, Le Sommet des dieux suit deux passionnés de montagne en pleine ascension de l'Everest: un alpiniste surdoué devenu renégat, Habu Jôji, et un photojournaliste qui va le traquer pour décrocher un scoop, Fukamachi.

Le film réussit l'exploit de restituer à l'écran le souffle romanesque de l'œuvre originale tout en proposant un style visuel complètement différent de celui de Jirō Taniguchi. "Je ne me suis jamais senti obligé de reproduire les dessins de Taniguchi", confie le réalisateur Patrick Imbert, également connu pour avoir cosigné avec Benjamin Renner une adaptation cinématographique très remarquée de la BD Le Grand Méchant Renard.

"Au début, j’ai reproduit en anime le trait de Taniguchi, mais je n’étais pas convaincu", poursuit-il. "Mais ses personnages sont très codifiés et ils ne permettent pas d’exprimer à l’écran ce que je voulais. Quitte à faire du réalisme, je me suis dit qu'il fallait que ce soit un peu plus poussé. J’aime les subtilités que l'on peut trouver dans les visages, dans les poses, dans le jeu. Le cinéma est un médium qui impose plus sa vérité qu’un livre."

Un projet validé par Taniguchi

Après des années dans l'animation jeunesse, le réalisateur s'en est donné à cœur joie avec ce projet "plus adulte" qui lui a permis d'exprimer "un dessin comme j’aimerais en faire plus naturellement". Certains, en découvrant les premières images, ont craint à une relecture de l'œuvre de Taniguchi - auteur connu pour ses récits contemplatifs - par le prisme de la série Lastman - une série à l'humour débridé entre comics et manga.

"On est forcément un peu cousin", concède Patrick Imbert. "Je connais Jérémie Périn [le réalisateur de la série Lastman, NDLR] depuis les Gobelins et l'animation traditionnelle 2D à Paris est un tout petit milieu. Un des directeurs artistiques du film, Mikael Robert, a fait Lastman et travaille actuellement avec Périn sur Mars Express [ambitieux film d'animation de SF prévu pour 2023 ou 2024, NDLR]. On a tous été bercés par les animes et on a tous un goût pour le réalisme."

Taniguchi a pu découvrir le scénario et les dessins préparatoires avant sa mort en février 2017. "Les producteurs lui ont montré quelques travaux préliminaires", se souvient Patrick Imbert. "Il a validé, on va dire. Il n’a rien dit. Comme il était adaptateur lui-même, il était conscient que l’adaptateur devait être libre pour faire correctement son travail."

L'autre défi du réalisateur est d'avoir réussi à condenser en une heure et demie une histoire ample et dense qui court en manga sur plus de 1.500 pages. "Le fil rouge était l’itinéraire des deux personnages principaux, j'ai retiré toutes les digressions", résume-t-il. Il lui a fallu aussi rendre digeste cette histoire d’obsession et de fascination située dans un décor montagnard dépouillé.

"Je ne connais rien à l’alpinisme et je ne pensais pas qu’on puisse faire tenir juste un film sur de la montagne ou de l’alpinisme.", avoue le réalisateur. "Ce que j’avais retiré de la BD, c’est cette notion très universelle: le but profond de la conquête des hauteurs. J'y ai vu un rapport à la création. Si on me demande pourquoi je dessine, je serais incapable de répondre. Je dessine, parce que j’aime ça et vivre sans ce n’est pas possible."

Une apparition de Miyazaki

Pour les scènes d'alpinisme, Patrick Imbert ne s'est pas appuyé sur le manga de Taniguchi, mais sur le travail du maître de la BD montagnarde Jean-Marc Rochette (Le Transperceneige) et sur son best-seller Ailefroide, consacré à sa jeunesse dans le massif des Ecrins.

Le film "Le Sommet des Dieux", adapté de Jirō Taniguchi
Le film "Le Sommet des Dieux", adapté de Jirō Taniguchi © Copyright Wild Bunch Distribution
"Je l’ai lu au début de la fabrication du film et il y a quelque chose qui m’a tout de suite frappé: Rochette a fait de la montagne contrairement à Taniguchi. Dans le dessin des personnages, dans les poses, ça se voit que c’est du vécu. Ses dessins ont beau avoir l’air juste esquissé, c’est super fort. Je me suis dit qu’il fallait faire très attention à la justesse de la pose."

Deux autres figures tutélaires veillent sur le film: Isao Takahata et Hayao Miyazaki, qui font une apparition dans une scène située au début du film. "C’est un petit cadeau, une petite surprise de la part des dessinateurs qui ont travaillé sur ce plan", explique Patrick Imbert.

Le Sommet des dieux aura besoin de leur soutien: l'animation adulte peine toujours à séduire le plus grand nombre, comme l'a prouvé en 2019 l'échec de J'ai perdu mon corps, film pourtant multi-primé et encensé par la critique. Présent dans la sélection officielle de Cannes 2021, Le Sommet des dieux a été acheté par Netflix qui le sortira en novembre à l'international. "Je suis content", glisse Patrick Imbert. "Je sais que mon film sera vu."

A lire

Le Sommet des dieux, Jirō Taniguchi, Kana, cinq tomes, 18 euros chacun.

Autour du Sommet des dieux, le livre du film
, Thomas Vennin et Patrick Imbert, éditions Paulsen, 176 pages, 29,90 euros. Sortie le 23 septembre.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV