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Cinéma

Critique élogieuse, bouche-à-oreille efficace: comment "Sirāt", film indépendant franco-espagnol a conquis les salles

Le drame "Sirāt", co-écrit et réalisé par Óliver Laxe, sorti en septembre 2025.

Le drame "Sirāt", co-écrit et réalisé par Óliver Laxe, sorti en septembre 2025. - Pyramide

Depuis sa sortie, le 10 septembre, ce road-movie indépendant, au sujet aride et sans stars, auréolé du Prix du jury à Cannes, rencontre un étonnant succès en salles.

Depuis plusieurs jours, au milieu du bruit des conversations à la machine à café, on entend des "T'as vu Sirāt?" ou des, plus péremptoires, "Va le voir, c'est fou". Certains glissent même, sans sourciller, que c'est leur "meilleur film depuis le début de l'année". On se faufile alors, un peu naïf, sans rien savoir de l'intrigue, dans une salle obscure un dimanche pluvieux de septembre. La salle déborde de spectateurs.

Il faut dire que le quatrième long-métrage du Franco-Espagnol Óliver Laxe, auréolé du Prix du jury à Cannes en mai (ex-aequo avec Résurrection de Bi Gan), sorti le 10 septembre dernier, génère un affriolant bouche-à-oreille.

Côté box-office, il a attiré près de 345.000 spectateurs en deux semaines, selon CBO. Avec un recul de seulement 17 % lors de sa deuxième semaine. Au terme de ses quatorze premiers jours, Sirāt fait donc mieux que Downton Abbey III ou Connemara, sortis la même semaine. Et lors de son premier week-end, le film se classait même deuxième à Paris - et troisième dans l'Hexagone.

En Espagne, le drame ovni a également passionné les foules depuis sa sortie en juin, s'approchant des 400.000 entrées. Un miracle dans un pays où l'industrie du cinéma, laissée en jachère, se dépouille à grande vitesse de ses salles et de ses cinéphiles. Sirāt y figurait ainsi, à la mi-août, parmi les quinze films les plus vus depuis le début de l'année.

Au milieu du désert

Des chiffres très surprenants, donc, pour un film espagnol indépendant, à la sortie plutôt confidentielle (à l'aune, bien sûr, des campagnes marketing démesurées des studios hollywoodiens) et sans grande tête d'affiche (exception faite de Sergi López). Le reste du casting étant des non professionnels issus de l’univers des raves parties.

Même son sujet est a priori rebutant. Un père (Sergi López, donc) part à la recherche de sa fille disparue, flanqué de son fils et de son chien, dans une rave party clandestine au milieu du désert marocain. Les basses dégoulinent leur techno. Les corps se meuvent. Puis une bande de fêtards antisystèmes et vagabonds apparaît et embarque la petite famille dans son van. Ensemble, ils s'enfoncent sur les routes désolées et arides.

Là, le film bascule et devient un survival fonçant à pleine vitesse vers la malédiction. L'enjeu premier du récit s'évanouissant au profit de nouveaux rebondissements scotchants, déchirants. Non dénués d'empathie. L'un d'eux, dont on vous taira les détails, sidère peut-être encore plus que les autres. Certains spectateurs quittant même la salle à ce moment-là, dit-on sur les réseaux sociaux.

Odyssée radicale

Sirāt n'est donc pas un film comme les autres. C'est une odyssée radicale, une expérience, ou une épreuve, détestable et cruelle pour certains, jouissive, hypnotique et puissante pour d'autres. Elle clive, bouscule, voire violente, crée le chaos. Pousse ses spectateurs en dehors de leur zone de confort sur le rythme effréné des compositions de David Kangding Ray.

Le film ose aussi une réflexion: et si la mort n'était qu'une chose parmi tant d'autres? Pour son réalisateur, habitué du festival de Cannes, où son précédent long-métrage, Viendra le feu, avait remporté le prix du jury Un Certain regard, il s'agit d'"expérimenter la mort, sa petitesse", comme il dit dans Le Monde. "Dans cette idée de blessure, il n’y a pas de classe, de genre, de race, on est tous dans le même train."

Il détaille sur FranceInfo: "Je crois que méditer la mort devrait être une pratique à peu près quotidienne. Mais je ne suis pas un cynique, je ne suis pas un nihiliste, j'ai de l'espoir dans l'être humain et dans le futur. Et j'avais envie que les spectateurs sentent qu'on s'approche d'un monde en mutation et d'une nouvelle ère." Le cinéaste précise qu'il ne voulait "pas dire", juste "faire sentir".

Son titre, Sirāt, nous mettait pourtant déjà sur la piste. Le mot renvoyant, en arabe, à l’image d’un pont que l’on traverse pour accéder au paradis.

Estelle Aubin