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Cinéma

"Connemara" d'Alex Lutz d'après Nicolas Mathieu: la France périphérique par la face morne

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CRITIQUE. Le quatrième long-métrage d'Alex Lutz, en salles ce mercredi, sonde les méandres d'une Emma Bovary moderne, avec un peu trop de manières et de morosité.

Dès les premières minutes, Mélanie Thierry est de tous les plans. Cadrage ultra serré, lumière dorée par moments, visage anguleux de face ou de côté, voire coupé pour ne laisser jaillir que son regard dans le vide ou fixant la très mélancolique (apparemment) rue de Rivoli. La quadra en col blanc est triste, et ça se voit. Perdue dans les méandres du capitalisme, de sa vie morne et matérielle.

L'acteur et comédien Alex Lutz, désormais cinéaste confirmé après Le Talent de mes amis (98.000 entrées en 2015), le très bon Guy (182.000 entrées en 2018) et Une nuit (117.000 entrées en 2023), s'attaque cette fois au roman à succès de Nicolas Mathieu, Connemara, publié aux éditions Actes Sud en 2022. Mais il y ajoute de nombreux plans ampoulés et inutiles à son récit.

Amour provincial sur la glace

Son quatrième long-métrage expose la vie d'Hélène, une Emma Bovary des temps modernes (Mélanie Thierry, donc) qui, lassée, écœurée par sa vie de bureau parisienne (un burn-out pour le dire plus clairement) et ses responsabilités familiales, choisit d'aller "se ressourcer" dans son pays natal (l'Est de la France). Là, elle s'éloigne peu à peu de son mari (Grégory Montel) puis recroise, sur le parking pluvieux d'un bowling, entre deux séances chez la psy, le gars le plus populaire de son lycée, ex-capitaine de l'équipe de hockey sur glace (Bastien Bouillon).

Une impression de déjà-vu? Normal. Partir un jour, le premier long-métrage d'Amélie Bonnin et chic film d'ouverture à Cannes sorti le 13 mai dernier, racontait peu ou prou la même histoire. Même Bastien Bouillon était déjà de la partie (aux côtés cette fois de Juliette Armanet), campant là aussi le type fauché censé réveiller la bourgeoise enfermée dans son train-train parisien. Un Jack de Titanic version "diagonale du vide". Ou un Sylvain de Simple comme Sylvain sans la hache et les chemises à carreaux, mais avec les patins.

Mais là où Amélie Bonnin incorporait de la légèreté, des mélodies pop et colorées, un souffle, un élan, Alex Lutz impose, lui, une mise en scène empesée, sinon pesante. En cause? Une chronologie éclatée, faite d'ellipses et de flashbacks, des flous intempestifs, peu de pas de côté, une voix off introspective et des gros plans systématiques sur sa comédienne, qui figent le récit au lieu de le faire avancer.

Mélancolie triomphante

Les acteurs font pourtant du mieux qu'ils peuvent pour raconter la France périphérique et le désenchantement du capitalisme. L'alchimie entre Mélanie Thierry et Bastien Bouillon fonctionne bien, leurs étreintes langoureuses réveillent le film, leur manière de raconter les mots de Nicolas Mathieu aussi. À un moment, le potentiel comique de Mélanie Thierry surgit même quand, assise au comptoir d'un bar, elle joue la flirteuse gênante face au belâtre à la mèche brune.

Mais, à l'image du roman de Nicolas Mathieu, la mélancolie guette toujours Hélène. Qu'elle regarde au loin une campagne vert pomme désaffectée, une route passante, des jeux pour enfants ou des nuages laiteux, qu'elle enlace ses enfants, s'emporte contre sa mère (Clémentine Célarié) qui lui reproche tout et rien, elle reste toujours enfermée dans sa tristesse. Jamais à sa place. Déprimée et déprimante, même sur du Michel Sardou.

Estelle Aubin