Cannes 2025: de quoi parle la Palme d'or "Un simple accident", thriller iranien tourné clandestinement?

Une image du film "Un simple accident" de Jafar Panahi, Palme d'or 2025 - Memento
Thriller moral auscultant le dilemme d'anciens détenus tentés de se venger de leur tortionnaire, Un simple accident a été sacré Palme d'or ce samedi 24 mai au Festival de Cannes. Un signal politique fort. Ce film tourné en clandestinité par le cinéaste dissident iranien Jafar Panahi est une attaque frontale contre les autorités de Téhéran.
Le "simple accident" d'Un simple accident, en salles le 10 septembre, renvoie à une banale collision routière. Après avoir percuté un animal dans la nuit, Eghbal frappe à la porte d'un site industriel dans l'espoir de faire réparer sa voiture, où patientent sa fille et sa femme enceinte.
À l'intérieur du bâtiment, Vahid se fige aussitôt. La voix de l'automobiliste et le bruit créé par le frottement au sol de sa prothèse de jambe le persuadent qu'il a affaire à son ancien geôlier, un tortionnaire surnommé "La guibole" ou "L'éclopé" qui lui a fait subir les pires sévices. "Il m'a tout pris. Je suis un mort-vivant", résume Vahid.
Il se met en tête de suivre l'automobiliste, le kidnappe dans la rue et l'emmène dans sa fourgonnette avec la ferme intention de lui faire subir une fin atroce. Mais Eghbal nie et Vahid est pris par le doute: a-t-il vraiment retrouvé l'homme qui a détruit sa vie ou est-il en train de violenter un innocent en passe d'être père pour la deuxième fois?
Equipée haletante
Pour y voir clair, Vahid embarque dans son van d'autres victimes de "La guibole", dont une femme en robe de mariée, qui vont déambuler dans la ville, étalant les fractures creusées par les persécutions et la tentation de la vengeance privée.
Hamid, un des membres de cette équipée haletante, veut en finir avec le kidnappé sans autre forme de procès mais les autres hésitent, craignant d'agir comme les séides de la République islamique. "Si tu l'enterres, tu enterreras aussi tes idéaux", lance Shiva, qui a subi en prison viols et simulacres de pendaison.
"La question qui se pose, au fond, c'est est-ce qu'on doit leur rendre la pareille? Est-ce qu'il faut entrer dans ce cercle de violence ou pas?", a résumé Jafar Panahi dans un entretien à l'AFP.
"Autorité malsaine"
Tout au long du film se dévoilent les fragments d'un pays où a récemment grondé une révolte populaire durement réprimée. Fin 2022, des manifestations de masse ont secoué l'Iran après la mort en détention de la jeune Mahsa Amini, arrêtée en raison d'un voile islamique mal ajusté.
Dans Un simple accident les deux actrices principales ont les cheveux au vent et on aperçoit furtivement, dans les rues d'une ville qu'on devine être Téhéran, d'autres femmes délaissant leurs voiles.
"Mon problème, ce ne sont pas des individus. Aucune des figures même de cette République islamique n'est (...) un enjeu qui compte pour moi", a détaillé Jafar Panahi. "Ce qui compte pour moi, c'est comment (...) on pourra arriver au jour où plus personne ne se permettra de nous dire comment nous habiller, quels films faire, quels vêtements porter ou quelle nourriture manger." "Personne n'a le droit d'exercer cette autorité malsaine."
Deuxième palme iranienne
Avant même d'entrer dans la course à la Palme d'or, Jafar Panahi avait fait sensation par sa simple présence à Cannes. Depuis quinze ans et sa condamnation pour "propagande contre le régime", il n'avait pu quitter son pays pour assister à un des festivals de cinéma qui l'ont couvert de distinctions (deux Ours d'or à Berlin, trois prix à Cannes, un autre à Venise).
Nul ne sait quel sort lui réserveront les autorités de Téhéran après son onzième long-métrage, lui qui a déjà été incarcéré à deux reprises en Iran (86 jours en 2010, près de sept mois entre 2022 et 2023).
Jafar Panahi est le deuxième Iranien à remporter la Palme après Abbas Kiarostami pour Le Goût de la cerise (1997). L'an dernier, un autre Iranien, Mohammad Rasoulof, avait décroché un prix spécial pour un autre film brûlot, Les Graines du figuier sauvage. Arrivé clandestinement à Cannes, il avait ensuite choisi l'exil.