"C'était catastrophique": "Une femme très, très, très amoureuse", la comédie oubliée avec Nagui

Détail de l'affiche du film "Une femme très très très amoureuse" avec Nagui et Cristiana Reali - Ajoz Films
Un animateur star, un scénario efficace et des effets spéciaux délirants: sur le papier, Une femme très, très, très amoureuse aurait dû rencontrer un grand succès en salles. Mais cette comédie romantique avec Nagui a été un tel échec à sa sortie en 1997 que ce film est désormais complètement oublié - et même impossible à voir.
Même Nagui refuse d'en parler. En mars 2017, alors que l'humoriste Tom Villa évoquait le film dans Les Terriens sur C8, la gêne se lisait sur le visage de l'animateur. Un an auparavant, il avait confié dans Le Parisien: "J'ai rêvé d'une carrière d'acteur il y a vingt ans (...) Moi acteur, c'est faire insulte à des Vincent Cassel ou Michel Bouquet."
"Je crois qu'il ne veut pas en parler, mais je ne sais pas pourquoi", confirme à BFMTV Ariel Zeitoun, scénariste et réalisateur d'Une femme très, très, très amoureuse. "Il pourrait dire qu'il le déteste, mais en même temps je comprends très bien qu'il ne dise rien (puisqu'il) a tiré un trait sur cette période où on a fait le film."
Comme tout film au destin atypique, Une femme très, très, très amoureuse est né de manière inattendue. Tout commence en 1993. Ariel Zeitoun sort la comédie Le Nombril du monde, fresque avec Michel Boujenah qui brocarde la veulerie des hommes et dénonce la misogynie des pays d'Afrique du Nord à travers quatre portraits de femmes.
"J'ai un peu craqué"
Succès mitigé en salles, le film est "assassiné" par la critique, déplore le réalisateur. "Quand je voyais des femmes faire des critiques tout en passant totalement à côté du sens du film (...), dans ma tête, j'ai un peu craqué. Le revers de mon féminisme a parlé et je me suis dit qu'elles mentaient, ces femmes."

Le réalisateur, qui s'était inspiré d'un récit de sa mère pour Le Nombril du monde, commence alors à penser qu'elle avait "peut-être elle aussi menti". "Tout ça, dans ma tête, s'est un peu bousculé et je me suis dit que j'avais envie d'écrire un film (sur le) mensonge. Et que ce mensonge serait celui de la mère."
Ainsi naît ce film. Zak, le héros, est un dessinateur de BD aux nombreuses conquêtes. Un jour, il reçoit une lettre écrite par son père à la veille de sa mort. Il y apprend qu'il risque d'être réduit à l'impuissance totale s'il ne conçoit pas un enfant avant son prochain anniversaire.
La lettre est évidemment un mensonge pour contraindre ce personnage volage à mener une vie plus rangée. "C'est la mère de (Zak) qui crée un mensonge", précise le réalisateur. "Je crois qu'on est manipulé. Une femme très, très, très amoureuse voulait raconter ça. C’est la manipulation d'un garçon naïf qui croit ce que sa mère lui dit."
Dany Boon retoqué
Ariel Zeitoun ne veut pas réaliser une comédie potache. Il veut surprendre le public avec un scénario qui mêle tous les genres de comédie, de l'humour juif au vaudeville. Dans plusieurs scènes, il va jusqu'à reproduire en prises de vues réelles des gags des cartoons de Tex Avery.
"C'est venu assez naturellement. La nouvelle qu'apprend Zak, c'est comme s'il recevait une enclume sur la tête. Je me suis dit que ce serait drôle de le voir vraiment prendre une enclume sur la tête", commente le réalisateur. "C'était une façon de rendre vraies les attitudes et les comportements des personnages."
Les comédies réalisées sur le sol français s'autorisent rarement autant de liberté. "Mon envie était de faire un ovni", un "film de contrebandier", concède-t-il. "En même temps, un ovni, c'est un élément qui n'a pas sa place. Donc peut-être que j'ai fait un film qui n'avait pas sa place."
Pour porter son film, Ariel Zeitoun a un acteur en tête: Dany Boon. L'humoriste est alors au début de sa carrière. "Je venais de le voir à l'Olympia. J'étais tombé amoureux de lui et je m'étais dit que c'était cet acteur-là qu'il me fallait." Mais France Télévisions, qui finance le film, refuse de donner sa chance à l'inconnu.
Hésitations
Coup de chance: au même moment, Nagui lit le scénario. Ariel Zeitoun veut lui faire jouer un petit rôle. Mais l'animateur y voit sa chance d'entrer dans le milieu du cinéma. Avant lui, beaucoup d'animateurs ont sauté le pas: Jacques Martin, Guy Lux, Karl Zéro. Mais tous ont connu l'échec. Nagui est pourtant persuadé que le rôle est pour lui.
Mais certains doutent du potentiel de l'animateur. Ariel Zeitoun se souvient d'un appel de Jean Drucker, alors directeur général de M6. "Il me dit: 'Nagui, tu es sûr? Parce que si tu le prends parce que c'est le plus grand présentateur de la télé, dans ce cas-là, c'est mon frère Michel qu'il faut prendre, parce qu'il est plus grand que Nagui!"
Ariel Zeitoun insiste: "Pour moi, Nagui correspondait formidablement bien au personnage qui était effectivement un personnage très, très fantasque. Et Nagui est comme ça." Mais Nagui hésite. "C'est normal", souligne Ariel Zeitoun. "Moi-même, j'avais des hésitations aussi."
Mais le naturel de l'animateur devant la caméra rassure. Nagui prend aussi des cours. Il s'implique. Sur le tournage, "il faisait semblant de se mettre en colère ou d'être satisfait ou insatisfait de quelque chose. Uniquement pour voir si ça marchait", se souvient Ariel Zeitoun. "C'était à la fois drôle et un peu puéril, mais amusant."
La pire date de l'année
Le tournage se déroule à merveille malgré les effets spéciaux numériques, alors balbutiants, qui alourdissent un peu le processus. Mais ils sont indispensables pour donner vie aux délires du personnage de Nagui. "C'était un bordel monstre sur un plateau", s'amuse Ariel Zeitoun. "C'était chronophage, pas amusant."

C'est à l'approche de la sortie que tout se gâte. Le film ne plaît pas aux distributeurs. Après près de 9 mois d'attente, il se retrouve programmé en plein été, le 13 août. "Ils me disent, ce n'est pas bien, que personne ne rit. Quand ils ne sont pas chauds sur un film, ils le sortent à des dates pourries pour pouvoir l'enlever rapidement des salles."
L'échec paraît inévitable. D'autant que les critiques sont catastrophiques - à l'exception de celle du Monde. Jacques Mandelbaum y voit un film "un rien culotté" et "séduisant". Le critique salue aussi le jeu "assez savoureux" de Thomas Langmann, qui apparaît dans le film en rabbin ultra-orthodoxe et obsédé sexuel.
"Elle n'était pas du tout méchante ni agressive, mais plutôt même assez compréhensive. C'est peut-être l'été qui fait ça. Quand c'est l'été, ils s'adoucissent", s'amuse Ariel Zeitoun.
"Un vrai coup sur la tête"
Nagui s'implique à fond dans la promotion. "Il a été très solidaire", salue Ariel Zeitoun. Deux mois avant la sortie, pendant la fête du cinéma en juin, il participe à plusieurs avant-premières. "C'était plein. Il y avait un engouement absolument fou, mais c'était pour Nagui, en tant que personne."
Dans les salles, il n'y a aucun engouement. Seulement 47.808 personnes se déplacent. "C'est un vrai coup sur la tête", résume Ariel Zeitoun. "On a eu un sentiment d'injustice." En plein été, impossible de faire la promotion à la télévision avec Nagui. "C'était absurde. Il a fait une émission (de promo) alors que le film n'était plus à l'affiche!"
"Quand on a appris les entrées du premier jour, on n'a pas su quoi dire. On savait que le film allait être retiré des salles la semaine suivante. C'était catastrophique. C'est plusieurs années qui partaient en poussière d'un seul coup. C'est très difficile à vivre. Mais bon, c'est comme ça, on s'est trompé", déplore Ariel Zeitoun.
"Pollution cinématographique"
Comment expliquer cet échec? 1997 est pour Nagui une année noire. Plusieurs de ses émissions dont Taratata sont déprogrammées, faute d'audience. Il est aussi pris dans la tourmente de l'affaire des animateurs-producteurs avec France 2.
Pour Ariel Zeitoun, l’échec du film n’a rien à voir avec les déboires de Nagui. "Peut-être que les gens ne s'attendaient pas à voir Nagui tenir un premier rôle dans un film et qu'ils ont pensé que c'était une opération commerciale. On ne s'est pas dit qu'on le prenait pour cartonner. Au contraire, c'était un risque!"
Diffusé à la fin des années 1990 sur Canal +, France 2 et M6, le film trouve un second souffle à la TV. "Ce que je sais, c'est que les directeurs des programmes, en particulier celui de France Télévisions, en avaient parlé à Nagui et lui avaient dit (qu'on) était aux alentours de 20, 22 % (d'audience), ce qui était pas mal", détaille Ariel Zeitoun.
Puis le film a disparu. Uniquement disponible en VHS, il n'a jamais pas été édité en DVD et n’est pas disponible en streaming. Même sur Allociné, le film est totalement ignoré. Le site ne recense que deux critiques - assassines - de spectateurs. La première parle de "pollution cinématographique", la seconde estime que "Nagui arrive à tirer Boujenah vers le bas".
Bientôt une ressortie?
Malgré cet échec, Ariel Zeitoun n'a aucun regret. Il reste fier de son film. "Évidemment, je me suis dit qu'il y a plein de choses qui auraient pu être mieux, mais en même temps, je me suis dit que c'était plutôt gonflé. L'histoire est marrante, folle et raconte beaucoup de choses qu'on ne pourrait pas faire aujourd'hui sur les rapports hommes/femmes. Je ne regrette pas de l'avoir fait. Du tout."
Le réalisateur espère bien ressusciter son film. Il a repris ses droits pour le remasteriser et le ressortir "l'année prochaine". "EuropaCorp va prendre le mandat du film pour le vendre auprès des TV, pour essayer de le faire revivre ou vivre un peu. J'ai vu pire passer à la télévision donc j'espère qu'on va trouver des créneaux."