Adèle Haenel remet en cause l'hétérosexualité au Théâtre parisien des Bouffes du Nord

Adèle Haenel au tribunal de Paris, le 3 février 2025 après la condamnation du réalisateur Christophe Ruggia à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, pour agression sexuelle sur l'actrice lorsqu'elle était mineure. - Photo par HENRIQUE CAMPOS / Hans Lucas / Hans Lucas
La mise en scène de textes féministes, après une mission sur une flottille humanitaire en soutien aux Palestiniens: la comédienne Adèle Haenel poursuit ses combats militants, à travers des engagements "cohérents" qu'elle raconte dans une interview à l'AFP.
"J'ai souhaité participer à cette mission, puisque je ne pouvais plus rester silencieuse et complice du silence des gouvernements, face au génocide en Palestine", déclare l'actrice française, rencontrée à l'occasion de la première du spectacle qu'elle met en scène et interprète au Théâtre parisien des Bouffes du Nord.
En septembre, elle a embarqué, avec des militants de plus de 40 pays, trois semaines à bord de l'un des bateaux de la flotille Global Sumud, qui entendait rompre le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza.
"La complicité des institutions"
Mercredi soir, à l'issue de la représentation, la comédienne a demandé au public d'observer une minute de silence et a lu une tribune de soutien à Gaza, devant un parterre de personnalités artistiques telle que les réalisatrices Alice Diop et Céline Sciamma ou le directeur de Chaillot-Théâtre de la danse Rachid Ouramdane.
"C'est une façon de prendre la mesure de la gravité de la situation, de réfléchir à chacune des vies qui a été massacrée en Palestine", a-t-elle expliqué à l'AFP, quelques heures avant l'annonce, jeudi, d'un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, une étape majeure visant à mettre fin à deux ans de guerre à Gaza.
Adèle Haenel pointe du doigt "la complicité des institutions", "la collaboration de l'État français au génocide en Palestine". Ce dernier "a le devoir de mettre un embargo sur les armes, de cesser la collaboration politique et économique" avec Israël, estime-t-elle.
Elle dénonce aussi les "actes de torture infligés" aux militants après l'arraisonnement de leurs embarcations ces derniers jours.
"Le gouvernement israélien piétine le droit international, en attaquant des bateaux chargés de civils et d'aide humanitaire". Ce sont des "actes de piraterie", s'agace-t-elle, disant défendre "une cause juste".
La remise en cause de l'hétérosexualité comme modèle de société
Sur la scène, elle porte un autre engagement: "Réfléchir" à la pensée de Monique Wittig, militante féministe lesbienne (1935-2003), qui prônait la remise en cause de l'hétérosexualité comme modèle de société.
Assise dans ce qui pourrait être une clairière de forêt jonchée de feuilles aux couleurs de l'automne, autour d'un feu de bois factice, l'actrice expose, de manière didactique, les concepts développés par la militante. Elle explique combien hétérosexualité est à ses yeux "une construction sociale", "un système politique qui maintient la binarité de genre" et perpétue "la domination de l'homme sur la femme".
Elle est accompagnée de sa complice du collectif Dame Chevaliers Caro Geryl pour le "design sonore", qui ponctue son propos de bruitages de cris d'animaux de la forêt et de musique. Des moments qu'elle veut suspendus ou haletants: "L'émotion est au centre. Car la compréhension, c'est quelque chose qui transforme, qui bouleverse hyper profondément", dit-elle.
Un livre en préparation
L'actrice avait dénoncé en 2019 les agressions sexuelles, commises quand elle avait 12 à 14 ans par le réalisateur Christophe Ruggia (pour lesquelles il a été condamné à quatre ans de prison, une peine dont il a fait appel), ouvrant la voie au #Metoo français dans le cinéma. Elle s'était ensuite mise en retrait de cet art.
Définitivement ? "Tant que vous produisez ces images sexistes, racistes, validistes, et tant que vous reposez sur un système de création des images qui repose sur l'exploitation et la violence, c'est sûr que je ne vais pas participer", lance-t-elle.
"Mais ça ne veut pas dire que le médium cinéma en lui-même ne m'intéresse pas. Il est magnifique, comme l'écriture est magnifique, comme les médiums artistiques".
L'artiste travaille actuellement à une nouvelle création avec la chorégraphe et plasticienne Gisèle Vienne, figure de la scène contemporaine.
"J'ai écrit un livre sur le jeu d'acteur qui devrait sortir dans les prochains mois", indique-t-elle également.