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Bandes dessinées

Le retour du dessinateur Tito, pionnier de la BD de banlieue des années 80 et 90

Le dessinateur Tito, auteur de la BD "Tendre Banlieue", en 2002.

Le dessinateur Tito, auteur de la BD "Tendre Banlieue", en 2002. - Jean-Pierre Muller

Le dessinateur réédite son album le plus personnel, "Soledad". L'auteur a marqué les esprits avec "Tendre Banlieue", publié pendant près de trente ans dans "Okapi".

Des années 1980 à 2000, Tiburcio de la Llave, alias Tito, était l'un des dessinateurs phares de la revue pour ados Okapi. Avec sa BD Tendre Banlieue (1983-2010), il a marqué les esprits et a été salué pour sa représentation positive de la petite et de la grande couronne. Puis il a brusquement disparu des radars, avant de revenir en début d'année aussi soudainement qu'il était parti, avec la réédition de Soledad (1983-2002), évocation de l'Espagne de son enfance.

"Je n'ai pas vu le temps passer", confesse le dessinateur. "Ces dernières années, je me suis senti moins obligé de produire pour produire. J'ai levé le pied. Avant, j'étais très actif. Je sortais tous les ans un album. C'est épuisant, un album. Ça prend beaucoup d’énergie." Tito n'est pourtant pas resté inactif. "J'ai donné des cours de BD dans des ateliers. J’ai fait beaucoup d’illustrations."

Pendant dix ans, cet auteur dont les histoires sont bien ancrées dans leur époque s'est remis en question. "Au lieu de s'entêter avec la technique que j'avais apprise, j'ai suivi des cours pour apprendre modestement des techniques nouvelles. J'ai appris à manier la tablette graphique. Le prof qui me l'a appris était un lecteur de Tendre banlieue! Je suis content de voir le nombre de lecteurs d'Okapi qui n’oublient pas."

"Des histoires proches du vécu"

Publiée pour la première fois en 1982, Tendre banlieue est un ensemble d'albums, réunissant des histoires indépendantes les unes des autres, et abordant avec tendresse des sujets d'actualité comme l'adoption, le sida et les personnes âgées. Il évoque aussi les conflits de générations, notamment dans Secret de famille, où le fils d’un collectionneur de BD se venge de son père absent en déchirant son édition originale dédicacée de Tintin au pays des Soviets.

Couvertures des BD "Tendre banlieue" de Tito
Couvertures des BD "Tendre banlieue" de Tito © Casterman

Tendre banlieue a été conçu à l’origine comme un one-shot, mais les nombreuses lettres de lecteurs et de lectrices d’Okapi ont fait changer d’avis Tito. "Leurs demandes me stimulaient beaucoup. Je me suis rendu compte que l'on pouvait faire une deuxième, puis une troisième histoire pour parler de sujets très variés. Je trouvais que c’était inépuisable."

AvecTendre banlieue, Tito montre que l'on peut parler de la banlieue hors du prisme scolaire et de la chronique judiciaire. Pour chaque album, le dessinateur réalise un important travail de reportage sur le terrain. "Mes histoires sont toujours proches du vécu. Ce ne sont pas des fictions anodines."

"Peur d’être redondant"

Malgré le succès, Tito arrête Tendre banlieue en 2010, après la parution du vingtième tome. "Je ne voulais pas tirer la corde. J'avais peur d’être redondant", assure-t-il. Des tensions avec la rédaction en chef d'Okapi, qui juge démodée cette série remplie de bons sentiments, ont eu aussi raison de lui.

"Le journal évoluait. La rédaction a changé. Elle était demandeuse de thèmes que je n'avais pas forcément envie d'aborder. On me demandait de faire plus d’action. La nouvelle rédaction ne comprenait pas le côté serein et calme de mes histoires - alors que c’est ce qui plaisait aux lecteurs."
Une planche d'un tome de "Tendre Banlieue" de Tito
Une planche d'un tome de "Tendre Banlieue" de Tito © Casterman

"Gêné" par la situation, il refuse de corrompre sa série qui avait été inspirée par sa ville d'adoption, la cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), et a été témoin de son évolution. "Aucun sujet de Tendre Banlieue n'a été fait à la légère. Soit je restais intègre et j'arrêtais la série, soit je la continuais telle que je voulais." Tito n’a jamais eu peur d’être à contre-courant des modes et des époques.

La mémoire de l'Espagne

En 1983, parallèlement à Tendre banlieue, Tito sort Soledad, fresque qui se déroule dans un village imaginaire de Castille. Il y évoque son grand-père Tiburcio, un résistant républicain, et les fantômes de la dictature franquiste. Lorsqu’il débute Soledad, personne en Espagne ne veut entendre parler de Franco, qui a tenu sous sa coupe le pays entre 1936 et 1975.

Les Espagnols voulaient sortir de l'étouffement de la dictature. L'époque était à la Movida, Almodovar avait ses premiers succès avec ses comédies déjantées. Tito était en France et voulait garder "en urgence" la mémoire des anciens qui étaient en train de disparaître. "Au moment où les Espagnols ne voulaient pas parler de la guerre civile, j'avais assez de recul pour pouvoir en parler. C'est un point de vue inédit en Espagne, dû à mon déracinement."

Couverture de l'intégrale de "Soledad", une BD de Tito sur l'Espagne
Couverture de l'intégrale de "Soledad", une BD de Tito sur l'Espagne © Casterman

Né en 1957, Tito est arrivé à l’âge de six ans en France. Fasciné par Franquin (Spirou, Gaston), il doit tout à Cabu, qui devient son mentor, et à Paul Gillon (Les naufragés du temps), une autre star de la BD de l’époque. "Je trouvais qu'il dessinait des enfants de manière très réaliste. Je le copiais. J'essayais de l'imiter."

Aux côtés de Jean Giraud (Blueberry), Tito apprend à affiner son trait, et à le rendre plus réaliste. "J'avais déjà en tête de faire des histoires proches de la réalité. Pour que les sujets que j'aborde soient crédibles, il faut être proche de la réalité et donc faire du dessin réaliste."

Il apprend patiemment l'art de la bande dessinée, suivant à la lettre les mots de son grand-père: "Il ne faut pas que tu te fasses remarquer. Qu'on ne me dise pas que mon petit-fils ne fasse pas bien les choses."

"Il me disait de m'intégrer, que les gens qui m'accueillent n'aient pas de soucis avec moi. C'était lourd. Ce qu'il me disait était sacré. Il m'a donné des valeurs que j'ai essayé de transmettre à travers Tendre Banlieue, mais aussi à travers Soledad.

Et qu'il va continuer de transmettre. "Il n’est pas impossible que je me remette de nouveau à créer", assure le dessinateur, qui a dans sa besace "deux-trois scénarios", "assez proches de l'Espagne".

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV