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Bandes dessinées

"Deux filles nues": dix ans après "Charlie Hebdo", Luz raconte en BD l'art "dégénéré"

Le dessinateur Luz en 2023

Le dessinateur Luz en 2023 - Joel Saget

Luz retrace l'histoire d'un tableau considéré comme "dégénéré" par les nazis dans un livre qui évoque en filigrane l'attentat contre Charlie Hebdo et la violence que peut engendrer la méconnaissance de l'art.

Après le succès de son adaptation de Vernon Subutex de Virginie Despentes et de sa farce sur la masculinité Testosterror, Luz revient avec Deux filles nues. L'histoire d'un tableau, Deux filles nues de l'artiste Otto Mueller, considéré comme de l'art "dégénéré" puis spolié par les nazis avant de disparaître dans les limbes de l'histoire.

Une histoire racontée de manière originale, du point de vue du tableau, dans un album qui dénonce la recrudescence de l'extrême droite. Et qui vient aussi rappeler, presque dix ans après l'attentat contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, les dangers de la censure et la violence que peut engendrer la méconnaissance de l'art et du dessin.

"Ce n'est pas si inconscient", indique Luz dans une interview accordée à BFMTV. Avec Deux filles nues, il entend répondre à une question "à laquelle (il n'a) toujours pas la réponse" depuis l'attentat du 7 janvier: "Qu'est-ce que c'est que d'être un survivant?" Un mot que lui-même a toujours refusé d'employer.

"Faire vivre ce qu'un survivant peut vivre"

"À part une réponse très tautologique - je suis survivant parce que j'ai survécu -, je n'ai pas trop d'autres réponses", analyse-t-il. "D'autant que c'est une étiquette qu'on nous a collée (après le 7 janvier) et qui n'est pas une étiquette que l'on se colle à soi-même. Je n'ai jamais su comment parler de ça."

Couverture de la BD "Deux filles nues" de Luz
Couverture de la BD "Deux filles nues" de Luz © Albin Michel

"Dès qu'on me pose des questions sur le 7 janvier, je réponds un peu, mais je me cache aussi. C'est difficile", poursuit l'ancien caricaturiste, devenu une figure du 9e art. "Puisque je vais arriver (aux 10 ans des attentats), je ne pourrai pas échapper à cette question. Plutôt qu'on me pose la question, j'ai envie que ce soit moi qui la pose."

Avec Deux filles nues, "je voulais faire une BD qui justifierait qu'on me pose des questions sur le sujet", précise-t-il encore. "Peut-être que la seule manière que j'avais de pouvoir donner une réponse à ces questions, c'était de faire vivre (aux lecteurs) ce que j'ai vécu, ce qu'un survivant peut vivre."

Escape game graphique

Sauf que Luz, après plusieurs BD autobiographiques (Catharsis, Indélébiles), ne veut plus se dessiner ou parler de lui aussi frontalement. "Ma vie actuelle n'a pas de portée fictionnelle. Je n'ai pas envie de la dessiner. (Je suis plus à l'aise) de passer par le biais de quelque chose qui n'est pas une personne."

Deux filles nues place donc le lecteur à la place du dessin honni, menacé d'être détruit. L'album permet de comprendre "ce que c'est que d'être stigmatisé sans pouvoir réagir". Mais aussi "ce que c'est que d'être ballotté par l'histoire, de faire partie de l'histoire sans l'avoir demandé, de voir le monde à distance sans pouvoir réagir."

Une planche de la BD de Luz "Deux filles nues"
Une planche de la BD de Luz "Deux filles nues" © Albin Michel

Ce sentiment, Luz l'a déjà représenté sur la couverture de Catharsis. Il s'y était dessiné les yeux exorbités, incapable de détourner le regard face à la tuerie du 7 janvier. Dans Deux filles nues, le lecteur se met à sa place. Mais, lui, à la fin de l'album, échappe aux horreurs. "Cette BD, c'est presque un escape game graphique!", s'amuse Luz.

Une expérience assez rare

Deux filles nues propose "une expérience assez rare", souligne Luz: plonger "dans une époque sans les réseaux sociaux" où "le jugement d'une œuvre se fait uniquement au contact de celle-ci". Le tableau n'est d'ailleurs dévoilé qu'à la fin. Tout au long du récit, le lecteur est "obligé de l'imaginer par le truchement du jugement des autres".

Deux filles nues marque un nouveau départ pour lui. Le dessinateur, qui a toujours eu tendance à surcharger ses planches de textes et de dessins, fait ici tout l'inverse. Les planches sont aérées. Le blanc du papier domine. "C'est un de mes rares livres que je continue encore d'ouvrir après l'avoir fait. Il m'apaise", précise-t-il.

Après cet album, il se repose. "C'est un bouquin qui a mobilisé beaucoup de choses qui m'ont demandé beaucoup d'efforts." Il n'a pas de projet précis, mais a repris ses pinceaux. "La première chose que j'ai faite, après cette BD, a été de dessiner en noir et blanc. Et de faire un personnage en colère. C'est tout ce qu'on peut dire."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV