Yvelines: bataille politique autour d'un projet de "village" pour adolescents migrants isolés à Mantes-la-Jolie

Le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie. - AFP
Deux élus à couteaux tirés, des habitants peu informés et l'urgence d'héberger des adolescents migrants particulièrement vulnérables: c'est dans ce contexte que s'organise l'arrivée courant 2026 de mineurs non accompagnés (MNA) au Val Fourré, à Mantes-la-Jolie (Yvelines).
C'est dans ce quartier classé prioritaire de la politique de la ville (QPV), dans la cour d'un collège désaffecté, que le département veut construire 22 "chalets" pour accueillir "une petite centaine" de ces enfants arrivés seuls en France. Un projet auquel s'oppose la mairie.
Certaines de ces constructions seront des chambres, d'autres des "lieux de vie" et les salles de classe du collège "serviront pour l'enseignement" (formations professionnelles, cours de langue), détaille Pierre Bédier, président divers droite du conseil départemental, à qui échoit la protection de ces enfants au titre de l'Aide sociale à l'enfance.
"Novateur"
Projet "novateur" pour son instigateur, unique en son genre selon l'association Départements de France, le dispositif doit répondre à "l'urgence" de loger ces jeunes aux parcours cabossés, dont le placement en hôtels est restreint depuis 2024.
Les Yvelines doivent prendre en charge cette année environ 900 de ces enfants, une centaine étant déjà présents à Mantes-la-Jolie, détaille Pierre Bédier, ex-maire de la ville. Essentiellement des adolescents de 16 ans en moyenne, originaires du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne.
La plupart des habitants rencontrés par l'AFP n'ont que vaguement entendu parler du projet dont la livraison est prévue en mai 2026. "Vous savez, moi aussi je suis étrangère, je n'y vois pas d'inconvénient", sourit Fatma Er, 61 ans, informée du projet via internet.
Jean-Paul Mendy, 54 ans, qui habite derrière l'établissement, n'en a jamais entendu parler mais "ça ne (le) dérange pas", "tant que c'est pour faire du bien aux jeunes".
Un affrontement entre candidats aux municipales?
Pour le maire Horizons Raphaël Cognet, le choix de la localisation résulte d'un procédé "brutal", sans consultation. Il a lancé une pétition, rassemblant à ce jour près de 2.000 signatures en ligne et environ 700 sur papier, assure-t-il.
Raphaël Cognet et Pierre Bédier, longtemps proches mais dont le divorce politique est consommé de longue date, se renvoient la balle, jusque devant les tribunaux, avec en toile de fond l'horizon des municipales en 2026.
L'ancien collège était le seul emplacement foncier disponible, argue Pierre Bédier. Ce qui hérisse Raphaël Cognet. Ce n'est pas en mettant des MNA "dans une zone où il y a beaucoup de délinquance à proximité que ça va aller mieux", après les épreuves "absolument épouvantables" qu'ils ont traversées, estime-t-il.
De la "mauvaise foi", rétorque le président du département, estimant que le maire a évolué "du discours 'On n'en veut pas, c'est des voyous' à 'On est d'accord pour qu'ils viennent, mais pas là', sans proposer un autre endroit".
La mairie a été déboutée fin septembre par la justice administrative, saisie en urgence pour suspendre le permis de construire. Les associations locales, elles, restent dans l'expectative.
Un projet "instrumentalisé"
"Je pense que quel que soit l'endroit, la bataille entre Cognet et Bédier aurait donné le même résultat", soupire Alain Boudou. Le secrétaire général de l'antenne de la Ligue des droits de l'Homme mantoise voit dans ce "village" un projet "instrumentalisé à d'autres fins que le bien-être" des adolescents.
Si une dizaine de "villages" identiques sont en projet dans le département selon le conseil départemental, à ce stade celui du Val Fourré est le seul à se situer dans un QPV.
Avec 45% de population sous le seuil de pauvreté et près d'un quart des jeunes de 16 à 25 ans non scolarisés et sans emploi, ce quartier "n'est pas très favorisé" mais il peut et doit y avoir pour ces jeunes un "encadrement suffisant pour que ça ne parte pas à la dérive", estime Alain Boudou.
Théo Da Cruz Lopes, animateur des réseaux de solidarité du Secours catholique dans le département, parle, lui, de "bonne opportunité" pour ces mineurs, mais craint que cet endroit devienne un "hôtel bis" avec "un accompagnement qui soit aussi maigre que celui (proposé) actuellement" dans ce type d'hébergement.
"Les jeunes d'ici, on n'arrive pas déjà à les canaliser", constate Martine Mendy, 54 ans, une infirmière travaillant aux abords, regrettant qu'il n'y ait visiblement "pas assez de moyens pour prendre soin de tout le monde".