"On a besoin que la justice nous soutienne": le témoignage de l'ex-proviseur du lycée Ravel visé par des menaces de mort

Parler pour "défendre la laïcité" et les "valeurs de la République". C'est un homme encore marqué, qui près de 10 mois après l'affaire ayant secoué et précipité sa fin de carrière professionnelle, témoigne au micro de BFMTV.
Philippe Le Guillou, l'ancien proviseur du lycée Maurice-Ravel, dans le 20e arrondissement de Paris, menacé de mort par plusieurs personnes après avoir demandé à une élève de retirer son voile, est revenu à notre micro sur les faits, les condamnations prononcées et sa "nouvelle vie".
"Ça va, mais j’ai mis du temps à réaliser l’impact de tout ce qui s’est passé. Dès le départ, le quotidien a été bouleversé, mais j’ai complètement intégré les choses et je ne me suis pas rendu compte du traumatisme" appuie-t-il au micro de BFMTV.
"J'ai évité de sortir, de prendre le métro..."
Ce 28 février 2024 dernier, le proviseur se balade au sein de son établissement. Lorsqu'il croise plusieurs élèves voilées, à qui il demande de le retirer. Seule une, majeure, scolarisée en BTS, refuse.
S'en suit alors une altercation et une rumeur se répand sur les réseaux sociaux: le proviseur est accusé d'avoir giflé l'élève. "J’ai été surpris parce que c’est un mensonge. Donc d’après moi une part de manipulation, je ne l'ai pas giflée", assure-t-il une nouvelle fois.
Menacé de mort, Philippe Le Guillou, 64 ans, quitte ses fonctions de proviseur. Une "mesure de sécurité" qui conduit à un départ anticipé à la retraite.
"Ça a gâché ma dernière année et objectivement ma 30e année. J’aurais pu espérer autre chose", avoue-t-il difficilement.
Après cela, l'homme raconte avoir eu un sentiment d'inquiétude. "J'ai évité de sortir dans la rue, de prendre le métro, c'est à peine si je faisais des courses dans le quartier. (...) J'avais pas le sentiment d'avoir peur mais j'avais des conduites qui montraient qu'au fond de moi il y avait quand même une certaine anxiété", relate-t-il.
Des menaces de mort et un déferlement de haine
Sur les réseaux sociaux, les menaces et les messages de haine se sont bousculés. "C'est une dinguerie, il faut le brûler vif ce chien", écrivait notament un individu.
Une suite que le proviseur avait quelque peu envisagé, comme il le confie. "Quand ça s’est passé, j’ai eu un flash, je me suis dit ça va être catastrophique", souffle-t-il.
"Ce que je trouve hallucinant c’est les menaces, tous les propos, les insultes, les menaces tout ce qui a pu être dit sur les réseaux sociaux, c'est infâme. C’est inimaginable, ce déferlement de méchanceté, de haine", regrette Philippe Le Guillou.
"J'ai tout simplement fait appliquer la loi dans la cour du lycée", appuie-t-il. Même au sein de l'établissement, les proportions qu'ont pris les événements ont dépassé certaines personnes. "Il y a des élèves qui nous l’ont dit: on ne comprend pas comment une affaire interne banale a pu dégénérer autant", assure l'ancien proviseur.
La loi de 2004 difficile à faire respecter?
L'homme jouit d'une grande expérience dans l'éducation nationale. Il en faisait déjà partie le 15 mars 2004, lorsque la loi, appliquant le principe de laïcité, qui a interdit le port d'un signe ou d'une tenue religieuse à l'école fut votée.
"J'ai eu pas mal de soucis avec les tenues. C’est vrai qu’il y avait des difficultés d’application", reconnaît Philippe Le Guillou, ajoutant que "la circulaire de Gabriel Attal sur les abayas nous a bien aidés".
"Nous avions aussi des problèmes de tenue au lycée avec des jeunes filles qui nous disaient que ce n’était pas religieux, et puis finalement avec la circulaire, les choses se sont calmées. Mais quand même à Ravel,de temps en temps, il y avait des soucis, et puis comme dans d’autres lycées à Paris, on a des problèmes de jeunes filles voilées", soutient-il.
Le jour de l'incident, le 28 février, avant que l'altercation ne se produise, il raconte avoir été surpris. "J’ai quand même vu à 15 heures, juste avant la récréation, deux élèves de seconde voilées avec qui j’ai discuté dix minutes", se remémore-t-il.
"Après au moment de la récréation deux étudiantes de BTS, qui sortent voilées du bâtiment du fond de la cour et là j’avais jamais vu ça: quatre élèves voilées en 10 minutes.Il y avait quand même un souci. Il y a une part de provocation, il y a une part d’entrisme", estime Philippe Le Guillou.
600 euros d'amende et un stage de citoyenneté, une peine "dérisoire"
L'ex-proviseur a ensuite évoqué la récente décision dans le procès de l'homme ayant appellé à "brûler vif" le proviseur. Le 18 novembre , il a été condamné à une peine de 60 jours-amende de 10 euros chacun et d'un stage de citoyenneté. Le parquet a fait appel.
"C’est effectivement dérisoire. C’est vrai que je peux tout à fait comprendre qu’après les collègues, les enseignants, les proviseurs ne se sentent pas protégés et ne se sentent pas soutenus par rapport à ce genre de problème", regrette Philippe Le Guillou.
Pour lui, des faits similaires se produiront dans d'autres établissements. Face à cela, celui qui s'est senti "plus soutenu" que Samuel Paty, espère une justice à la hauteur.
"Il ne faut pas se leurrer, il va y en avoir d’autres, et on a besoin que la justice nous soutienne et que la justice condamne plus fermement les personnes qui se permettent de menacer de mort les personnels. Il faut absolument que la justice nous soutienne davantage", lance-t-il.
"Je pense que la justice n’a toujours pas mesuré la situation parce que, au quotidien, quand vous êtes dans une classe et que vous avez des contestations d’enseignement, il faut absolument soutenir les enseignants parce que sinon ils auront peur et il y en a qui ne parleront plus de la Shoah ou qui en parleront très vite ou de manière édulcorée",soutient Philippe Le Guillou.
"Le message fort que doit envoyer les justice, c'est de protéger ces fonctionnaires", appuie Francis Lec, avocat du proviseur, au micro de BFMTV.
Amende, travaux d'intérêts généraux, sursis
Concernant les menaces de mort à l'encontre de l'ex-proviseur, trois personnes ont été arrêtées et jugées. Le premier, condamné à une amende en première instance, est âgé de 27 ans.
Un deuxième homme, âgé de 45 ans, connaîtra ce jeudi la peine prononcée à son encontre par le tribunal de Bourg-en-Bresse. Sur X, il avait écrit: "il faut aller lui en mettre deux à ce fils de lâche". Dix mois de prison avec sursis ont été requis à son encontre.
Le dernier, un homme de 33 ans, a récemment été condamné par la cour d'appel de Caen à 105 heures de travail d'intérêt général et 2.000 euros d'amende. Il avait été relaxé en première instance après avoir écrit: "Faut le bz ça mère !!! avant ça serait jamais passé comme ça y'a 15 ans de ça wallah".
Pour le conseil de l'ancien proviseur, Francis Lec, les peines ne sont pas satisfaisantes. "Le message de notre appel: on demande aux cours d'appel de mettre fin à cet abandon judiciaire que ressentent les enseignants et les chefs d'établissement", lance-t-il sur BFMTV.