Un an après la double explosion, Beyrouth peine à se reconstruire

Cela fait un an ce mercredi qu'une double explosion a emporté une grande partie du port de Beyrouth et des quartiers avoisinants. Mais c'est surtout le bilan humain qui a suscité l'effroi: au total, la catastrophe a tué 214 personnes, et laissé 6500 blessés environ derrière elle. À l'origine de l'horreur, la détonation d'une lourde cargaison de 2750 tonnes de nitrate d'ammonium stockées, sans précaution et pendant des années, dans des silos dominant la rade.
Ceux-ci se dressent toujours éventrés au milieu d'une capitale libanaise qui se rebâtit tout de même peu à peu. C'est notamment le cas du Mayrig, le restaurant d'Aline Kamakian, qui en a ouvert les portes à BFMTV.
"On a eu cinq blessés ici. Et on a tenu à refaire l’endroit comme il était avant." Et la tristesse pointe encore sous le lustre retrouvé de l'endroit. "On veut le garder, se souvenir, et pas oublier", glisse ainsi Aline, qui ajoute: "À chaque fois que je revois l’explosion, c’est comme si c’était maintenant. Je la revis. J’ai toujours la chair de poule, une crampe à l’intérieur."
"Mon père a été tué par l'Etat"
Selon la Banque mondiale, l'horreur a engendré quatre milliards de dommages. Et la faillite des institutions renforce encore le marasme. Douze mois après son lancement, l'enquête est enlisée. Ce ne sont pourtant pas les questions qui manquent, comme le souligne Libération - qui évoque aussi les pressions soulevées dans le sillage de la double explosion et des investigations - dans son numéro de mardi: quelle était l'origine, et la destination de ce nitrate d'ammonium et pourquoi a-t-il été conservé si longtemps au port?
En tout cas, on ne dénombre encore aucune condamnation. Au grand dam des familles de victimes dont certaines avaient lancé un ultimatum aux autorités, exigeant qu'elles lèvent l'immunité de certains suspects d'ici à ce premier anniversaire, sous peine de s'exposer à des représailles.
Le deuil confié par Elie Hasrouty à notre équipe est lui d'ordre plus intime. Son père a été gardien pendant 38 ans dans ces silos, où il a perdu la vie le 4 août 2020.
"Mon père a travaillé durant les guerres, les crises. Il a été tué par son propre Etat, par ceux qui devaient normalement le protéger", a-t-il simplement déploré.
Traumatisme
Le traumatisme reste présent chez nombre de Beyrouthins. Shady Rizk, rencontré par l'AFP, va toujours à l'hôpital pour se faire retirer des morceaux de verre logés dans sa chair. "Pratiquement chaque mois, on trouve un nouveau morceau de verre. J'ai encore des éclats dans les cuisses, dans les jambes, et mes bras je crois", confie cet ingénieur en télécommunications de 36 ans.
"Les médecins ont dit qu'il y aurait des débris de verre dans mon corps pendant encore plusieurs années", ajoute-t-il.
En ce 4 août 2020, sur les coups de 18 heures, il filme au téléphone, de son lieu de travail, l'épaisse fumée qui s'échappe d'un entrepôt au port de Beyrouth, juste en face. Quelques secondes plus tard, le souffle de la déflagration le frappe de plein fouet. Transporté à l'hôpital, toute la peau de son visage est striée de coupures, son corps sanguinolent.
L'explosion, dont les images ont fait le tour du monde, a dévasté des quartiers entiers de la capitale. Le drame a aussi traumatisé toute une population, déjà mise à genoux par un naufrage économique et une pandémie inédits.
Sur ses bras et ses jambes, le trentenaire qui veut émigrer au Canada pour fuir l'enfer qu'est devenu le Liban exhibe ses cicatrices. Une multitude de petites striures rouges qui rappellent les 350 points de sutures qu'il a dû recevoir après l'explosion. Blessé aux yeux par les éclats de verre, sa vison a aussi été sévèrement endommagée. Il y a aussi les séquelles psychologiques avec lesquelles il faut apprendre à vivre. "Le traumatisme, ça vous déchire de l'intérieur, c'est comme si je pleurais de l'intérieur", lâche Shady Rizk.
"En mode survie"
Rony Mecattaf a lui fait le tour des spécialistes en Europe et a subi trois opérations. Mais le psychothérapeute de 59 ans s'est résigné à vivre avec la perte de sa vision périphérique.
Au quotidien, il doit s'asseoir dans une position particulière pour avoir son interlocuteur dans son champ de vision. Dans la rue il marche toujours sur la gauche. Ses amis le taquinent en le surnommant "l'homme à un oeil". Pour le quinquagénaire, les survivants du 4 août n'ont pas eu la possibilité de confronter leur traumatisme.
Ereintés comme le reste de la population par un enchaînement de crises, toutes inédites, ils doivent surmonter les difficultés d'un quotidien marqué par la dépréciation historique de la livre libanaise, les pénuries en tout genre, les files d'attente devant les stations-service et les coupures de courant dans la chaleur étouffante de l'été. "Nous sommes tous en mode survie", reconnaît Rony Mecattaf.