Retrait de candidature, scrutin ajourné: le clan Bouteflika tente de garder la main

Abdelaziz Bouteflika (à droite) lors de son apparition à la télévision algérienne lundi. - Capture d'écran.
Non, Abdelaziz Bouteflika ne sera pas candidat à la présidentielle le 18 avril prochain. Il faut dire que personne ne le sera. Le scrutin est en effet ajourné sine die. Sa date sera fixée par une "conférence nationale" qui devra aussi jeter les bases d'une nouvelle constitution en Algérie et dont on espère qu'elle aura "complété son mandat avant la fin de l'année 2019". En attendant, le mandat d'Abdelaziz Bouteflika, le quatrième et dernier donc, est prolongé. Telles sont les annonces du communiqué attribué lundi soir à ce dernier.
"Attribué" et non "écrit" tant il est difficile d'imaginer le vieil homme malade et pour ainsi dire grabataire qui est apparu dans la soirée à la télévision recevant le chef d'Etat-major de l'armée Gaïd Salah, le diplomate Lakhdar Brahimi et le Premier ministre démissionnaire Ahmed Ouyahia (auquel succède Nouredine Bedoui, ministre de l'Intérieur dans son gouvernement), encore capable d'une quelconque initiative politique.
Dernier rempart du régime
Dans ce texte, le pouvoir déclare qu'il n'a "jamais été question" d'essayer de décrocher un cinquième mandat, malgré le dépôt de candidature effectué il y a quelques jours puis l'annonce du maintien de cette candidature, et avance qu'il a entendu "la demande pressante" du peuple algérien. Pourtant, difficile de voir dans ces dernières annonces un exécutif lâchant du lest aux manifestants. L'attentisme apparaît au contraire comme le dernier rempart d'un régime discrédité.
Ce mardi matin, notre consultant sur les questions internationales, Anthony Bellanger, a décrypté en plateau: "La seule carte que le régime peut jouer est de retirer la candidature de Bouteflika et de voir ensuite ce qu’il se passe, d’organiser une longue période de transition pour calmer la foule et reprendre la main après. Le système veut se survivre à lui-même." Il a ajouté: "L’idée, c’est 'mourir peut-être, rendre l’argent jamais'. Donc, ils vont faire à l’égyptienne une espèce de période de transition d’un an, histoire de reprendre la main pour imposer leur propre calendrier."
L'éditorialiste de France Inter, Pierre Haski, a abondé dans le même sens dans sa chronique: "Le communiqué publié lundi soir représente une tentative du pouvoir algérien de reprendre l’initiative qui était, depuis deux semaines, passée du côté de la société. (...) Ce pouvoir entend rester maître du calendrier et des modalités d’évolution du système politique, et c’est là que le bât blesse. Au travers d’une concession symboliquement importante, il tente en fait une véritable reprise en mains."
La Constitution comme "variable d'ajustement"
Cependant, rien dans la Constitution algérienne ne permet de mettre en place une telle situation. Ainsi, si un unique article, l'article 96, prévoit une possible prolongation du mandat présidentiel au-delà du terme fixé par l'élection, il ne s'applique qu'en cas de guerre:
"Pendant la durée de l'état de guerre, la Constitution est suspendue, le Président de la République assume tous les pouvoirs. Lorsque le mandat du Président de la République vient à expiration, il est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de la guerre."
Et l'hypothèse d'un délai supplémentaire repoussant in extremis la tenue de l'élection présidentielle n'est évoquée que par un seul article, l'article 89 qui, là encore, fait appel à un contexte bien différent et inopérant ici:
"Lorsque l'un des candidats présents au second tour de l'élection présidentielle décède, se retire ou est empêché par toute autre raison, le Président de la République en exercice ou celui qui assume la fonction de chef de l'Etat demeure en fonction jusqu'à la proclamation de l'élection du Président de la République. Dans ce cas, le Conseil Constitutionnel proroge le délai d'organisation de l'élection pour une durée maximale de soixante (60) jours."
On remarque d'ailleurs que dans ce cas de figure, qui ne s'applique donc que dans la perspective d'un second tour, le Conseil constitutionnel doit cependant arrêter une date pour l'organisation de l'élection, celle-ci ne pouvant excéder un laps de temps de deux mois. "Il faut rappeler que la Constitution en Algérie n’est qu’une variable d’ajustement", a expliqué sur notre antenne Naoufel Brahimi El Mili, auteur de France-Algérie, 50 ans d'histoires secrètes.
L'art de l'esquive
Mais ce plan du gouvernement vient de loin, selon l'analyse diffusée sur le site d'information algérien TSA. En effet, en décembre dernier, comme le montre aussi cet article d'El Watan, le TAJ, un parti de la coalition présidentielle dont le nom complet pourrait être traduit en français par "Rassemblement pour l'espoir de l'Algérie", proposait déjà la mise en place d'une conférence nationale et le report de l'élection prévue le 18 avril. Cette suggestion, née pourtant initialement au sein du Mouvement de la Société pour la Paix qui évolue dans l'opposition, avait finalement été rejetée par cette dernière.
Les adversaires du clan Bouteflika avaient noté la vertu d'une telle piste pour le régime: outre le fait de perdurer au gouvernement, elle évitait à Abdelaziz Bouteflika de devoir intervenir physiquement en public, notamment lors du rituel de la prestation de serment qui aurait infailliblement dû suivre sa réélection fort probable. Le triste spectacle de son apparition télévisée de lundi soir aide à comprendre l'intérêt de cet art de l'esquive pour la majorité.