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Palestine

"Pièges mortels": à Gaza, des civils tués près des centres de distribution d'aide depuis un mois

Des Palestiniens se rassemblent à un point de distribution d'aide mis en place par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), près du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 25 juin 2025.

Des Palestiniens se rassemblent à un point de distribution d'aide mis en place par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), près du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 25 juin 2025. - Eyad BABA / AFP

Des Palestiniens sont tués quasi-quotidiennement près des centres de distribution d'aide de la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), soutenue par Israël et les États-Unis, qui a débuté ses activités dans l'enclave fin mai.

"On les appelle les zones mortelles". Depuis Gaza-ville, Mahmoud Al-Ghura, père de quatre enfants, raconte à nos confrères britanniques de la BBC sa "peur" de se rendre dans les centres d'aide de la Fondation humanitaire de Gaza (GHF) pour chercher de la nourriture.

"Je crains que si je vais chercher un sac de farine, je revienne transporté dans l'un d'entre eux. Chaque jour, des gens vont là-bas et meurent", assure-t-il, expliquant que sa famille se contente de manger du pain et du sel.

Après avoir assoupli fin mai un blocus total imposé au territoire palestinien début mars, les autorités israéliennes ont mis en place un mécanisme de distribution d'aide piloté par la GHF. Un organisme soutenu par les États-Unis: le département d'État américain a annoncé ce jeudi lui verser 30 millions de dollars et appelé les "autres pays à soutenir" son "travail essentiel".

Depuis fin mai, leur distribution d'aide donne lieu à des scènes chaotiques. Selon la Défense civile locale, des Palestiniens sont tués quasi-quotidiennement en allant chercher l'aide humanitaire dans ces centres de distribution.

Depuis le début des distributions du GHF, au moins 450 personnes tuées

Ce jeudi 26 juin, six personnes qui attendaient de recevoir de l'aide ont été tuées par des tirs israéliens selon les secours. Même triste bilan la veille: six personnes ont été tuées et 30 blessées "par des tirs israéliens contre des milliers de civils qui attendaient de l'aide" près du corridor de Netzarim dans le centre de Gaza, a déclaré le porte-parole de la Défense civile locale, Mahmoud Bassal.

Des foules de Palestiniens se rassemblent chaque nuit dans ce secteur pour attendre l'ouverture des sites de distribution d'aide où elles espèrent recevoir des vivres, ont constaté des correspondants de l'AFP.

Ce mardi 24 juin, au moins 46 personnes ont été tuées et 150 blessées par des tirs israéliens près de deux centres de distribution, l'un près du carrefour de Netzarim et l'autre près de Rafah dans le sud de l'enclave. Un sinistre bilan qui a fait réagir la France. Paris a condamné les "tirs israéliens ayant touché" durant la nuit "des civils rassemblés autour d'un centre de distribution d'aide à Gaza, qui ont fait plusieurs dizaines de morts et de blessés".

"L'aide humanitaire ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiques ou militaires. La France appelle le gouvernement israélien à permettre l'accès immédiat, massif et sans entrave de l'aide humanitaire à Gaza", a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Au total, depuis que la GHF a commencé ses distributions fin mai, au moins 450 personnes ont été tuées et près de 3.500 autres blessées en tentant d'atteindre les points de distribution d'aide, selon le dernier bilan donné lundi par le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas. Un bilan qui ne prend donc pas en compte les décès des derniers jours.

"On vit dans l'angoisse"

"Pourquoi la vie de nos enfants est-elle perçue comme ayant si peu de valeur?", s'interroge auprès de la BBC une mère, Umm Raed al-Nuaizi, dont le fils a été blessé par balle puis placé en soins intensifs après être allé chercher de la nourriture dans le centre de l'enclave.

Mona Mahmoud Al-Dam, elle, a eu la chance de voir son fils, Alaa Hani Al-Akawi, revenir "en un seul morceau".

"Quand on envoie nos enfants comme ça, on vit dans l'angoisse. Là, il est revenu vivant mais demain il pourrait revenir mort, c'est ça notre quotidien", explique-t-elle au micro de Francetv.

Selon l'ONG, Save the Children, "des enfants ont été tués ou blessés dans plus de la moitié des attaques mortelles sur les sites de distribution de nourriture à Gaza" depuis quatre semaines.

Questionnée par l'AFP sur ces tirs quasi-quotidiens, l'armée israélienne répond qu'elle "examine la situation", qu'elle n'est pas "au courant" de "l'incident" ou alors elle ne répond pas. Samedi, alors que huit personnes sont mortes dans ces circonstances, Tsahal a affirmé que ses soldats avaient tiré "des coups de semonce" pour empêcher des "suspects" de s'approcher d'eux, et a dit "examiner" des allégations faisant état de blessés.

La Fondation humanitaire de Gaza (GHF), quant à elle, nie que des incidents meurtriers se soient produits à proximité immédiate de ses points d'aide.

"Des pièges mortels pour les civils"

"La Fondation humanitaire de Gaza a installé ses centres de distribution à côté des bases militaires israéliennes. Donc, les soldats israéliens considèrent les civils comme des menaces et tirent sur les gens", constate auprès de Francetv, Eyad Amawi, coordinateur des ONG locales. "Ces centres de distribution sont des pièges mortels pour les civils".

"Le soi-disant 'mécanisme' d'aide récemment créé est une abomination qui humilie et dégrade les personnes désespérées. C'est un piège mortel, coûtant plus de vies qu'il n'en sauve", a dénoncé de son côté Philippe Lazzarini, responsable de l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa).

Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a qualifié de "crime de guerre" l'utilisation de la nourriture comme une arme à Gaza et a exhorté l'armée israélienne à "cesser de tirer sur les personnes qui tentent de s'en procurer".

"Aucune information ne suggère que les personnes tuées ou blessées étaient impliquées dans des hostilités ou représentaient une menace pour l'armée israélienne ou le personnel des points de distribution de la GHF", a souligné le HCDH.

"Une aide à grande échelle est essentielle pour sauver des vies"

Plusieurs organisations de défense des droits humains ont appelé lundi la Fondation humanitaire de Gaza à "cesser ses opérations".

Constatant que la population de Gaza affamée par plus de 20 mois de guerre "avait désespérément besoin de plus d'aide", la fondation s'est dite "prête" à collaborer avec d'autres organisations humanitaires pour atteindre ceux qui en ont le plus besoin". Jusqu'ici, l'ONU et d'autres ONG humanitaires refusent de travailler avec la GHF en raison de préoccupations concernant ses procédés et sa neutralité.

La Fondation a affirmé "collaborer" avec le gouvernement israélien pour qu'il "ouvre des sites supplémentaires dans le nord de Gaza".

Des Palestiniennes déplacées à un point de distribution d'aide humanitaire à Jabalia, au nord de la bande de Gaza, le 19 mai 2025.
Des Palestiniennes déplacées à un point de distribution d'aide humanitaire à Jabalia, au nord de la bande de Gaza, le 19 mai 2025. © Bashar TALEB / AFP

Alors que plus de deux millions de Gazaouis vivent dans des conditions proches de la famine, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a appelé mercredi Benjamin Netanyahu à interdire l'aide humanitaire à Gaza.

Le Premier ministre israélien a de son côté commandé à son armée un plan "pour empêcher le Hamas de s'emparer de l'aide", accusant le mouvement islamiste palestinien d'avoir "repris le contrôle de l'aide humanitaire entrant dans le nord de la bande de Gaza".

Pour la première fois depuis le 2 mars, date à laquelle Israël a imposé un blocus sur le territoire palestinien, l'Organisation mondiale de la Santé a annoncé ce jeudi avoir effectué sa première livraison de fournitures médicales dans l'enclave palestinienne. "Ces fournitures médicales ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan, a déclaré le chef de l'Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, sur le réseau social X. "Une aide à grande échelle est essentielle pour sauver des vies".

Juliette Brossault avec AFP