
Conflit Israël-Iran: Ali Khamenei, la "clé de voûte du régime iranien" devenu la cible ultime du gouvernement israélien
Un colosse aux pieds d'argile. Du haut de sa fonction suprême de Guide de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei dirige d'une main de fer l'Iran depuis 36 ans. Mais son règne, et sa vie, semblent plus que jamais menacés. Une menace venue directement de son ennemi juré, Israël.
Depuis cinq jours, l'État hébreu et Téhéran s'échangent des tirs de missiles meurtriers. L'Iran a juré de bombarder Israël sans relâche pour mettre fin à l'attaque d'une ampleur sans précédent lancée le 13 juin. L'objectif affiché par les Israéliens: empêcher l'Iran de se doter de la bombe atomique, comme le soupçonnent les Occidentaux.
Des centaines de cibles militaires et nucléaires ont été visées, plusieurs dirigeants des Gardiens de la Révolution ont été tués, dont les plus hauts gradés du pays, et Israël ne semble pas vouloir s'arrêter là. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu veut frapper le régime des mollahs en plein cœur en tuant la figure de l'Iran, le Guide suprême, Ali Khamenei.
Ali Khamenei, la "clé de voûte" du régime iranien
Interrogé par la chaîne de télévision américaine ABC sur un futur assassinat du despote qu'il qualifie d'"Hitler moderne", le Premier ministre israélien a répondu que son pays ferait "ce qu'il a à faire". Pour Benjamin Netanyahu, tuer l'ayatollah Ali Khamenei ne "mènera pas à une escalade du conflit" mais "mettra fin au conflit".
Son ministre de la Défense Israël Katz a menacé Ali Khamenei de subir un "sort similaire à celui de Saddam Hussein", un dirigeant irakien exécuté en 2006 après sa capture par les forces américaines.
"Souviens-toi de ce qui est arrivé au dictateur du pays voisin de l'Iran qui a pris la même voie contre Israël", a-t-il lancé.
"Ali Khamenei apparaît comme la cible ultime" d'Israël car il constitue "la clé de voûte" du régime iranien, image David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient contacté par BFMTV.com.
"C'est un peu comme un château de cartes, si la pièce centrale est éliminée, tout peut s'effondrer", abonde-t-il.
Et pour le spécialiste, Benjamin Netanyahu fait de la chute du régime iranien un objectif "presque personnel". "Pour Israël, ce serait l'épilogue d'un long combat existentiel. Les Israéliens auraient enfin réglé leur compte avec l'Iran", avance David Rigoulet-Roze qui rappelle que la "république islamique a dans son ADN de départ en 1979 la destruction de l'État d'Israël ".
Si l'opposition américaine à un tel plan prime, Donald Trump a tout de même haussé le ton ce mardi. Le président des États-Unis a déclaré sur son réseau Truth social qu'il ne comptait pas "éliminer (tuer!)" le Guide suprême "pour le moment" et a exigé une "capitulation sans condition" de l'Iran.
"Donald Trump considère peut-être qu'il a encore besoin d'un interlocuteur pour négocier une voie de sortie de la guerre en cours", estime le chercheur associé à l’IRIS.
Un homme avec les pleins pouvoirs
Ce lundi, une des résidences du Guide suprême à Téhéran a été visée par les Israéliens. "Mais ils savaient qu'il n'était pas là, ils voulaient montrer qu'ils sont capables de le viser, de le tuer. C'est un message qui lui est envoyé pour lui faire peur", explique sur LCI Michel Fayad, analyste politique et géopolitique.
Selon nos confrères du Devoir, Ali Khamenei et sa famille se sont cachés dans un bunker à Lavizan, un quartier au nord-est de Téhéran. Les États-Unis "savent exactement où se cache le soi-disant 'guide suprême'" iranien, a affirmé Donald Trump sur sa plateforme Truth Social.
Si c'est la première fois qu'il fait l'objet de menace directe, Ali Khamenei sait qu'une conséquence de son accession à la plus haute strate du pouvoir en 1989 est une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Depuis son arrivée à la fonction suprême iranienne, l'ayatollah n'a jamais quitté l'Iran. Sa dernière visite à l'étranger remonte à 1989, en Corée du Nord lorsqu'il était encore président. Ses déplacements sont secrets et extrêmement sécurisés.

L'homme de 86 ans a succédé à l’ayatollah Rouhollah Khomeini devenant seulement le deuxième guide suprême du pays depuis l’instauration de la République islamique en 1979 après la révolution qui a fait tomber le chah d'Iran.
À cette place, il détient les pleins pouvoirs. Il détermine les grandes orientations du pays, il nomme les hauts responsables militaires, il a sous son autorité l'armée idéologique des Gardiens de la révolution mais aussi la justice. Il a sous sa coupe le président, son second, qu'il peut destituer.
Ali Khamenei, né en 1939 dans la ville sainte de Mechhed au nord-est de l'Iran où il a suivi des études religieuses, s'est imposé comme une figure profondément anti-occidentaux et anti-israéliens. En 2009, il avait qualifié l’État hébreu de "tumeur cancéreuse". Et a par le passé affirmé que les États-Unis étaient "l’ennemi numéro un" de l’Iran.
Le cadet d'une famille religieuse modeste - engagé dès les années 1960 contre Mohammed Reza Pahlavi, dernier chah d'Iran contraint à l'exil par la révolution iranienne - a petit à petit gravi les échelons. Entre autres, il a été nommé vice-président de la Défense en 1979, membre de l'Assemblée consultative islamique, secrétaire général du Parti de la république islamique ou encore membre de l'Assemblée des experts qui élit le Guide suprême avant d'être élu président de la République islamique d’Iran en 1981.
Il est ainsi devenu le premier ayatollah à occuper ce poste aux pouvoirs limités. Il est resté président pendant huit ans, soit deux mandats. Quelques mois avant son élection, Ali Khamenei avait dû faire face à une tentative d'assassinat. Une bombe placée dans un magnétophone lui a fait perdre l'usage de son bras droit, depuis tenu en écharpe.
Un despote honni par une large partie de sa population
S'il est menacé à l'extérieur de manière inédite, Ali Khamenei a vu de l'intérieur son pouvoir vaciller à plusieurs reprises. Une grande partie de la population iranienne le honni, notamment les jeunes, les femmes contre qui une féroce répression est menée, ainsi que la classe moyenne.
En 2009, des millions de personnes ont défilé dans la rue dénonçant un trucage des élections présidentielles par le pouvoir en place. Des hélicoptères étaient prêts à évacuer l’ayatollah Ali Khamenei hors du pays, rappellent nos confrères du Figaro.
Mais c'est surtout en 2022 que la population iranienne s'est soulevée. Des manifestations monstres, réprimées dans le sang, ont éclaté après la mort de la jeune Mahsa Amini, tuée pour un voile mal porté.
Mais jusqu'ici, Ali Khamenei n'a jamais cédé. L'opposition est verrouillée. Depuis 2022, la peine de mort est utilisée pour réduire la population au silence et de garder la main-mise sur le pouvoir. Au moins 975 personnes ont été exécutées en 2024.
Des exécutions qui cachent la vulnérabilité grandissante d'Ali Khamenei. L'ayatollah a perdu de nombreux alliés: le régime de Bachar al-Assad en Syrie a été renversé, le chef du Hezbollah -une milice chiite libanaise créée par l'Iran- Hassan Nasrallah a été tué par une frappe israélienne en septembre 2024. Les milices pro chiites en Irak et les houtis au Yémen font preuve d'un soutien ténu depuis le début des frappes israéliennes.
Le président iranien ultra-conservateur, Ebrahim Raïssi, qui était pressentie pour devenir le prochain Guide suprême est mort dans un accident d’hélicoptère aux circonstances floues, en mars 2024. Pour certains, c'est son fils, Mojtaba Khamenei qui est vu comme un potentiel successeur.
"Or, il est détesté par la population et a encore moins de qualifications religieuses que son père, n'étant même pas lui-même ayatollah", souligne David Rigoulet-Roze. "Cette succession pose une question insoluble à Ali Khamenei, dans la mesure où le principe même du régime est potentiellement remis en cause avec un régime intrinsèquement fragilisé."
"La porte ouverte à des événements incontrôlables"
Une fragilité qu'un certain pan de la population iranienne aimerait exploiter pour renverser le régime. Certaines voix appellent de nouveau au soulèvement.
"La République islamique a pris fin et est en train de s'effondrer. (...) Il est temps de se lever, il est temps de reprendre le contrôle de l'Iran", a déclaré sur X le prince Reza Pahlavi, exilé aux États-Unis et fils du dernier chah d’Iran.
Dans une tribune parue dans les colonnes du Monde, les Prix Nobel de la paix Narges Mohammadi et Shirin Ebadi, et les cinéastes Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof ont appelé "à la démission des responsables actuels... et à l’ouverture d’un processus de transition pacifique vers une démocratie véritable”. Afin d'arriver à ses fins, le Premier ministre israélien invite lui-même le peuple iranien à se soulever.
"La mort ou la chute d'Ali Khamenei pourrait générer une onde de choc sismique", explique David Rigoulet-Roze. "Il n'y a pas d'opposition constituée, structurée qui serait susceptible de reprendre la relève en assurant une transition organisée pour éviter une situation de chaos", constate-t-il. Les États-Unis ont pour le moment le pied sur le frein, car il redoute justement le "après".
"C'est donc un pari très risqué, cela pourrait être la porte ouverte à des événements incontrôlables", juge le spécialiste du Moyen-Orient. "Une nouvelle séquence de l'histoire de la région, aux conséquences insoupçonnées, est en train de s'écrire", conclut-il.