Livraison d'armes en Irak: un soutien "symbolique" de la France

Des peshmerga sur une ligne de front au nord de Bagdad, la capitale irakienne, le 9 août 2014. - -
Face à la progression des jihadistes de l'Etat islamique sur le territoire irakien, et alors que les Etats-Unis ont débuté leurs frappes aériennes, la France envisage désormais de doubler son soutien humanitaire d'un appui logistique. Depuis Erbil, dans le Kurdistan irakien, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a ainsi indiqué, dimanche, que la France pourrait livrer des armes aux combattants kurdes et aux Irakiens. "Il faudra, d'une manière ou d'une autre, qu'ils puissent être livrés, d'une façon sûre, en matériels qui leur permettent de se défendre et de contre-attaquer", a ainsi déclaré le chef de la diplomatie, tout en excluant l'idée d'une intervention militaire de la France.
Quel rôle peut jouer la France dans ce conflit? En quoi pourrait constituer cette aide logistique? Eléments de réponse avec Jean-Claude Allard, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des questions de défense et de sécurité.
Quel peut être le rôle de la France en Irak dans les heures et les jours à venir?
Dans un premier temps, la France s'est engagée à apporter une aide humanitaire aux personnes réfugiées dans les zones sûres. C'est un apport effectué par les militaires aux ONG qui devrait être très important. Quant à l'apport d'armes, je n'en vois personnellement pas l'efficacité immédiate. Car il s'agira soit d'armes sophistiquées, et dans ce cas il faut former les combattants, soit d'armes simples, dont les peshmerga d'un côté et les Irakiens de l'autre, disposent déjà. D'autant plus qu'il faut tenir compte du fait qu'il y a une différence dans l'efficacité, l'entraînement et la façon de combattre des deux forces: celle de l'Etat irakien, dont l'armée manque de cohésion et a été renversée par les soldats de l'EI, et celle des peshmerga, qui sont de très bons combattants, mais pas vraiment de bons manœuvriers tactiques.
Quels types d'armes la France peut-elle livrer?
Je pense que ce sera de l'ordre du symbolique. Pour les livraisons d'armes, il a toujours cette fameuse distinction entre les armes "sol-sol" et les armes "sol-air". Ces dernières n'ont aucun intérêt dans ce cas de figure puisque l'armée de l'Etat islamique n'a pas d'avions. Ensuite, les Kurdes et les Irakiens disposent déjà d'une panoplie de Kalachnikovs et de mortiers. Ce qui importe surtout, c'est l'affichage politique qui consiste à montrer que l'on est aux côtés des Irakiens et que l'on combat les jihadistes.
Laurent Fabius a écarté l'option d'une intervention militaire de la France. Peut-on tout de même l'envisager?
Les troupes au sol sont effectivement totalement exclues, et, si je peux donner mon avis, sont à exclure totalement tant la situation sur place est politiquement instable. On peut éventuellement aider l'Etat irakien en menant des frappes aériennes à ses côtés. Mais ceci nécessite de connaître la cible, de l'avoir identifiée et d'être sûr qu'il n'y aura pas de dommages collatéraux. Or, l'Etat islamique combat dans les villes, près de la population, voire même au sein de la population, pour s'en servir de bouclier humain. Donc les frappes aériennes sont très compliquées, et s'engager là-dedans serait pour la France quelque chose d'assez risqué.
Ce soutien logistique affiché par la France est-il une bonne chose selon vous?
Il est dans l'esprit du temps. Le problème est que la France se calque sur les Etats-Unis en matière de politique étrangère. A partir du moment où les Américains ont décidé d'intervenir, la France s'est mise au diapason.
Le dispositif actuel –les frappes aériennes américaine et l'envoi de soutien logistique- est-il en mesure de stopper la progression de l'EI?
Je ne pense pas. Les Américains se contentant de frappes aériennes, les islamistes, qui ont déjà gagné beaucoup de territoire, vont très certainement adapter leur stratégie: ils vont rester dans les villes, les tenir, profiter des boucliers humains. Pour sécuriser un territoire, il faut nécessairement des troupes au sol. Il n'y en aura pas, donc cette affaire semble partie pour devenir un scénario à la libyenne.