Mauvais traitements en Irak, Washington aurait laissé faire

Arrestations dans un commissariat de Kirkouk, au nord de Bagdad. Les autorités américaines étaient au courant de mauvais traitements infligés à des prisonniers par l'armée et la police irakiennes ces dernières années mais ont laissé faire, selon des infor - -
par Phil Stewart
WASHINGTON (Reuters) - Les autorités américaines étaient au courant de mauvais traitements infligés à des prisonniers par l'armée et la police irakiennes ces dernières années mais ont laissé faire, selon des informations de presse sur les documents que le site WikiLeaks s'apprête à mettre en ligne.
WikiLeaks a permis à certains médias de prendre déjà connaissance de ces quelque 400.000 documents et le journal britannique The Guardian, ainsi que la chaîne de télévision Al Djazira, affirment vendredi que les forces américaines n'ont rien fait pour mettre fin à ces violations des droits fondamentaux en Irak.
En France, le quotidien Le Monde, qui a eu accès aux documents, écrit sur son site internet que ces rapports d'incidents "montrent l'ampleur de la torture dans les commissariats irakiens" et ajoute que l'armée américaine ne pouvait ignorer ces pratiques mais que ses soldats semblaient impuissants à s'y opposer.
"Lorsqu'ils constatent des cas de mauvais traitements de la part des policiers irakiens, les soldats américains sont tenus d'en faire le signalement", poursuit Le Monde, mais l'ouverture d'une enquête n'est pas systématique.
"La phrase 'Les forces de la coalition n'étant pas impliquées dans ces accusations, une enquête plus poussée n'est pas nécessaire' parsème les rapports sur les sévices infligés par la police, et constitue parfois la première ligne du rapport", ajoute Le Monde.
Pour l'organisation Amnesty International, la divulgation de ces documents conduit à se demander si les autorités américaines ont respecté les conventions internationales sur la guerre en transférant la garde de détenus aux forces irakiennes, connues pour commettre des sévices "d'une ampleur véritablement choquante".
Les documents confidentiels sur le conflit en Irak rendus publics par WikiLeaks portent aussi sur d'autres sujets, comme le rôle joué par l'Iran dans la formation et le soutien de milices irakiennes. Ils apportent également des détails jusque là inconnus sur les victimes civiles dans le conflit irakien, WikiLeaks affirmant qu'ils détaillent la mort de 66.081 civils.
Interrogé par Al Djazira, le fondateur du site, Julian Assange, a assuré vendredi soir qu'il y avait matière à engager des poursuites pour 40 homicides arbitraires.
"Des rapports d'incident font état de civils tués sans discernement à des barrages de sécurité, de détenus irakiens torturés par les forces de la coalition et de soldats américains faisant exploser des immeubles civils pour le seul motif de la présence sur le toit d'un insurgé présumé", déclare WikiLeaks dans un communiqué.
"PAS D'INVESTIGATIONS SUPPLÉMENTAIRES"
Le site WikiLeaks, qui opère notamment depuis la Suède où la législation est particulièrement favorable au respect du secret des sources, permet la diffusion sécurisée de documents confidentiels communiqués par des "lanceurs d'alerte" dont l'anonymat est protégé.
En juillet dernier, le site a rendu public plus de 70.000 documents liés à la guerre en Afghanistan et provoqué un débat sur le risque que cette diffusion faisait courir aux soldats américains et à leurs alliés et informateurs afghans.
Le dossier afghan, et aujourd'hui le dossier irakien diffusé par WikiLeaks, constituent deux brèches majeures dans la sécurité et la protection des données de l'armée américaine.
"Nous déplorons que WikiLeaks incite des individus à enfreindre la loi et à faire fuiter des documents classés, puis partage de façon cavalière ces informations secrètes avec le monde entier", a réagi Geoff Morrell, chargé de la presse au Pentagone, dont une équipe de 120 personnes a été chargée d'évaluer les conséquences potentielles de cette divulgation massive.
Des responsables américains ont souligné vendredi soir que ces fichiers mettaient en danger les forces américaines et que 300 collaborateurs irakiens de l'US Army étaient désormais exposés à un risque.
Parmi les documents diffusés, le Guardian cite une note sur un prisonnier blessé par balle à une jambe par des policiers et passé à tabac. L'homme a été victime de plusieurs fractures des côtes et de multiples lacérations provoquées par des coups portés au moyen d'un tuyau. "Le résultat: 'Pas d'investigations supplémentaires", écrit le journal britannique.
Le New York Times rapporte pour sa part que "si certains cas ont fait l'objet d'investigations menées par des Américains, la plupart des affaires relevées dans ces archives semblent avoir été ignorées".
Rappelant que des milliers d'Irakiens détenus par les forces américaines ont été transférés sous garde irakienne entre 2009 et juillet 2010, Amnesty International estime que "ces documents semblent fournir une preuve supplémentaire du fait que les autorités américaines avaient connaissance de ces abus systématiques menés pendant des années".
Avec Adrian Croft à Londres; Guy Kerivel et Henri-Pierre André pour le service français