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Les mensonges qui ont changé le cours de l'histoire: le syndrome K

L'hôpital Fatebenefratelli situé à l'ouest de l'île Tibérine, à Rome, en Italie

L'hôpital Fatebenefratelli situé à l'ouest de l'île Tibérine, à Rome, en Italie - Fred Romero-Flickr-CC

1/5. Cet été, BFMTV.com revient sur cinq grands mensonges qui ont changé le cours de l'Histoire. Premier épisode de cette série avec le syndrome K, cette fausse épidémie qui a sauvé des Juifs.

C'est une épidémie qui a permis de sauver de la déportation une centaine de Juifs. Pourtant, cette maladie n'a jamais existé. Le syndrome K, virus imaginaire inventé par trois médecins romains, a effrayé les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale au point de les faire reculer.

L'hôpital Fatebenefratelli

L'histoire remonte à 1943 alors que les soldats du troisième Reich occupent Rome. Ils imposent de nouvelles lois antisémites - depuis 1938 déjà, le régime fasciste promulgue des lois raciales antisémites comme la spoliation et l'exclusion des Juifs des écoles et de la fonction publique. Persécutés, ils tentent de fuir les exactions. Certains trouvent ainsi refuge à l'hôpital Fatebenefratelli, situé sur l'île Tibérine, à Rome, dirigé par des moines catholiques, considéré comme un sanctuaire.

Le médecin chef, Giovanni Borromeo, est un antifasciste convaincu. Il a refusé de travailler pour les hôpitaux de la capitale italienne, dirigés par le régime de Mussolini. Depuis plusieurs années, il soigne secrètement communistes et résistants. L'hôpital Fatebenefratelli est même la seule institution qui autorise encore les médecins juifs à exercer - le médecin juif Vittorio Emanuele Sacerdoti y travaille alors avec de faux papiers sous le nom de Vittorio Salviucci.

Avec la complicité des religieux ainsi que le médecin Adriano Ossicini, ils accueillent, soignent et cachent des Juifs ainsi que leurs familles dans les sous-sols. Ils leur donnent également des laisser-passer qui leur permettent de fuir la capitale romaine pour trouver refuge dans des monastères de campagne. Mais il faut garder l'occupant et les autorités fascistes à distance.

K pour bacille de Koch et Kesselring

Les trois médecins mettent alors au point un subterfuge qui va fonctionner: ils inventent une nouvelle maladie. Le syndrome K, un virus particulièrement contagieux et dangereux dont ils décrivent les symptômes: dégénérescence neurologique, convulsions, démence puis paralysie progressive entraînant la mort par asphyxie.

La lettre K n'est pas choisie par hasard: elle évoque le bacille de Koch, la bactérie responsable de la tuberculose. Mais c'est aussi une référence à la première lettre des noms des deux généraux nazis qui dirigent Rome: Kesselring - missionné par Hitler pour déporter les Juifs - et Kappler - chef de la SS.

À l'automne 1943, les médecins alertent l'occupant allemand. Selon leur scénario, depuis l'été précédent, plusieurs patients auraient été admis dans un état critique, condamnés à mourir. Une épidémie serait à craindre: les malades sont de plus en plus nombreux, la maladie serait particulièrement contagieuse et infecterait l'ensemble des membres d'une même familles, touchant paticulièrement un quartier de Rome. Des soignants auraient même été contaminés, certains en seraient morts, assurent-ils.

La rafle du ghetto

Giovanni Borromeo donne l'ordre d'isoler les malades dans une des ailes de l'hôpital et d'en condamner l'accès. Sur la porte du service des maladies infectieuses, il est écrit sur une feuille de papier ces quelques mots de mise en garde: "patients atteints du syndrome K, danger de mort, ne pas entrer".

Tout est fait pour que le subterfuge soit crédible, comme l'a expliqué en 2016 Adriano Ossicini au quotidien italien La Stampa. "Nous avons créé des documents pour les Juifs comme s'ils étaient des patients ordinaires, et au moment où nous devions diagnostiquer la maladie dans les dossiers, nous indiquions que c'était le syndrome K. Ils étaient tous en bonne santé, c'était juste un code qui signifiait secrètement que ces personnes étaient cachées dans l'hôpital."

Dans la nuit du 15 au 16 octobre 1943, les nazis organisent la rafle du ghetto de Rome. Quelque 1200 Juifs romains, hommes, femmes et enfants, sont arrêtés et déportés à Auschwitz. Certains parviennent à leur échapper et trouvent refuge à l'hôpital Fatebenefratelli. Mais les soldats allemands en sont informés et Kesselring ordonne à Kappler de fouiller les lieux.

Une histoire restée secrète

Ses hommes arrivent devant l'entrée de l'hôpital. De l'autre côté du pont, trois hommes en blouse blanche leurs font face. Un commandant SS leur demande de leur ouvrir. Giovanni Borromeo obtempère mais alors que les soldats ont franchi le portail, il les prévient qu'une épidémie extrêmement dangereuse sévit et que, faute d'être mieux équipés, les soldats qui vont fouiller les lieux risquent d'être contaminés, de contaminer les autres et de mourir, comme le relatait un épisode d'Affaires sensibles sur France inter.

Les soldats hésitent puis font demi-tour et ne remettront plus jamais les pieds sur l'île. Jusqu'à la libération de Rome en 1944, les quelques centaines de faux malades vont rester cachés dans les sous-sols de l'hôpital. Pendant l'occupation nazie, plus de 8000 Juifs italiens ont été déportés.

L'histoire du syndrome K restera secrète pendant un demi-siècle. Ce n'est que quelques années avant sa mort qu'Adriano Ossicini dévoilera cet épisode. Peu après, le fils de Giovanni Borromeo publiera également un livre dévoilant les carnets et le courage de son père. Il a depuis reçu le titre de "Juste parmi les nations" par le mémorial de Yad Vashem à Jerusalem.

À l'entrée de l'hôpital, une plaque rappelle toujours cette histoire: "Cet endroit a été un phare dans les ténèbres de l'Holocauste, et notre devoir moral est de nous souvenir de ces grands héros pour que les nouvelles générations puissent les connaître et en prendre la mesure."

Pour lire les précédents épisodes de la série, c'est ici. Voici le deuxième: la fausse donation de l'empereur Constantin. Le troisième: les Protocoles des Sages de Sion. Le quatrième épisode: la fausse agression du Nord-Vietnam. Et le dernier: les supposées armes de destruction massive.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV