La bataille de Mossoul n'est pas encore gagnée

Des Peshmergas kurdes à 10 kilomètres au nord-est de Mossoul. - SAFIN HAMED - AFP
L’offensive irako-kurde, le tout soutenu par les Etats-Unis et la France, sur la ville de Mossoul (nord de l’Irak), en est à son quatrième jour. La coalition compte en effet reprendre la deuxième ville d’Irak tombée aux mains des soldats de Daesh, en juin 2014. Et l’optimisme est de mise du côté de la coalition. Alors qu’il s’exprimait en visioconférence devant la réunion internationale tenue à Paris sur la stabilisation de Mossoul, le Premier ministre irakien Haïder al Abadi l’a assuré: "Les forces irakiennes avancent plus vite que prévu".
Des propos bien hâtifs
Mais Pierre Servent, auteur d’Extension du domaine de la guerre et spécialiste des questions militaires, invite davantage à la prudence sur BFMTV:
"Le Premier ministre irakien devrait se garder des commentaires trop hâtifs. Pour pouvoir dire qu’on a gagné, il y a quatre étapes à franchir. Premièrement, encercler la ville. Ici, ça peut aller assez vite car Daesh n’a pas assez de combattants. Ensuite, il faut investir la place. Puis, la contrôler. Enfin, il faut pouvoir la gouverner."
Selon l’expert, l’attitude de la population, dont une partie était favorable à Daesh au moment de la chute de la ville en 2014, sera capitale. Cependant, la situation générale du "Califat" n’est guère brillante admet-il: "Ils ont un problème de troupes, de chefs, de financement."
Variations sur plusieurs fronts
Sur notre antenne également, le général Dominique Trinquand a lui aussi une vision nuancée du déroulé des opérations:
"La partie est de Mossoul, qui fait face aux Kurdes, est "facile à prendre". Mais la partie ouest, c’est la vieille ville. Et si les djihadistes décident de la défendre, à partir d’obstacles qu’ils ont eu largement le temps de préparer, de plans de feu qu’ils ont eu largement le temps de préparer, ça risque d’être extrêmement compliqué. Et il y a une autre tactique qui est possible. Ils peuvent aussi laisser rentrer les soldats dans la ville et les tuer ensuite, selon les schémas de la guérilla urbaine."
Stéphane Mantoux est agrégé d’histoire, spécialiste des questions de défense. Sur son blog, il analyse les conflits syrien et irakien. Lui aussi met en avant la nécessité de faire le distinguo entre les différents fronts:
"Le terrain est plus accidenté au sud de la ville, et Daesh s’accroche vraiment aux localités. L’organisation a placé davantage de forces pour retarder les troupes irakiennes dans cette zone et celles-ci progressent plus difficilement que les Kurdes sur le front est. C’est peut-être une tactique de leur part. Car les Kurdes font plus peur à la population de Mossoul que l’armée irakienne."
De nombreux obstacles se dressent devant la coalition
La stratégie adoptée par les soldats salafistes est claire: retarder le plus possible l'avancée des troupes adverses grâce à l’explosion de véhicules piégés (dix-sept ont sauté aujourd’hui), un record depuis le début de la bataille.
La question des tunnels revêt aussi une importance cardinale. Les hommes de Daesh en ont creusé un peu partout à Mossoul et dans les environs. Les avantages de ces installations qui tiennent à la fois de la stratégie militaire et de la terreur sont nombreux selon Stéphane Mantoux: "Les tunnels leur permettent d’échapper à l’aviation, de sortir n’importe où pour tirer sur les Irakiens ou les Kurdes déjà passés, de positionner des snipers. Quand les forces irakiennes ou kurdes auront atteint la ville, ou coupé l’axe de communication à l’ouest, ils se retrancheront."
Une confiance raisonnable...et fondée sur le long terme
Si on parle à présent de couper cette voie, c’est parce qu’un nouveau front a été ouvert ce 20 octobre au nord de la ville. Stéphane Mantoux en extrait une information encourageante pour la suite des opérations: "Aujourd’hui, une partie de la Golden Division irakienne est entrée en ligne avec les Kurdes qui, quant à eux, se sont presque arrêtés à l’est et ont même évacué des villages. C’est le signe d’une bonne coordination entre ces différentes armées."
Si il existe donc quelques raisons d’être satisfait du cours des choses, il faut rester prudent. C’est au moment où la coalition tentera d’investir la ville et de la reprendre, rue après rue, qu’on entrera dans le vif du sujet. Cette bataille, au milieu des bâtiments et du gros million d’habitants que compte la ville, promet d’être longue. Et Mossoul n’est pas l’alpha et l’omega de la campagne contre Daesh au Moyen-Orient, contrairement à ce qu’a estimé le président François Hollande ce jeudi en déclarant: "Avec la reprise de Mossoul, je pense que nous aurons gagné la guerre."
En un sens, Daesh envisage déjà le coup d’après, explique à nouveau Stéphane Mantoux: "Daesh a anticipé la chute de Mossoul qu’il sait devoir perdre à terme. Mais ses hommes sauront évoluer très vite. Les wilayat (nom arabe que Daesh donne à ses provinces) irakiennes fonctionnent désormais sur un mode de guérilla insurrectionnelle."