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"De sales petits secrets": 796 enfants morts anonymement dans un foyer religieux irlandais vont être exhumés

Le foyer St Mary des sœurs du Bon Secours de Tuam, en Irlande, où une fosse commune avec 796 enfants a été découverte.

Le foyer St Mary des sœurs du Bon Secours de Tuam, en Irlande, où une fosse commune avec 796 enfants a été découverte. - Paul Faith / AFP

Dix ans après les révélations de Catherine Corless, les fouilles du charnier du foyer St Mary des sœurs du Bon Secours à Tuam ont commencé lundi 16 juin. Les experts veulent procéder aux recherches dès le mois de juillet. Celles-ci devraient durer deux ans.

"Quand j'ai commencé, personne ne voulait écouter", se remémore Catherine Corless. En 2014, elle révélait que 796 enfants avaient été inhumés anonymement dans un foyer en Irlande. Plus de dix ans plus tard, les premières exhumations ont commencé. Lundi 16 juin, les ouvriés ont installé des clôtures de chantier pour boucler le périmètre de l'ancienne fosse septique du foyer St Mary des sœurs du Bon Secours, en prévision des premières exhumations en juillet.

Pilotées par Daniel MacSweeney, les recherches devraient durer près de deux ans. Une première phase de fouilles du site est prévue pour les quatre prochaines semaines. Et dès la mi-juillet, les équipes devraient, enfin, pouvoir excaver les corps des enfants. "Ce fut un combat acharné", se souvient Catherine Corless aujourd'hui âgée de 71 ans que l'AFP a rencontrée à Tuam, dans l'Ouest de l'Irlande, près de site où les exhumations vont se dérouler.

Tout commence en 2014. Cette année-là, cette historienne locale met au jour des preuves attestant du décès de 796 enfants - des nouveau-nés jusqu'à l'âge de neuf ans - dans ce foyer d'une petite ville située à 220 kilomètres de Dublin. Ses recherches l'ont conduite à une découverte macabre : une fosse commune. "Il n'y avait aucun registre d'enterrement, pas de cimetière, pas de statue, pas de croix, absolument rien", se rappelle-t-elle.

Surtout "quand j'ai commencé, personne ne voulait écouter (...) je suppliais: sortez ces bébés de ces égouts, offrez-leur l'enterrement chrétien digne qu'on leur a refusé", raconte-t-elle. En vain. L'institution a été rasée en 1972 et a laissé place à un lotissement. La fosse, elle, est restée intacte.

"Illégitimes"

Lorsque les recherches de Catherine Corless ont été publiées, elles ont provoqué une onde de choc en Irlande, révélant de manière brutale le traitement réservé aux enfants nés hors mariage. Pendant des décennies, la société, l'État et l'Église catholique - qui a historiquement eu une main de fer sur les comportements en Irlande - ont relégué les femmes enceintes non mariées dans des "maisons mère et enfant".

Après l'accouchement dans ces institutions, les enfants étaient séparés de leur mère, puis souvent adoptés. Mais certains n'ont pas eu cette chance. Selon le journal Irish Independant, les enfants du foyer de Tuam seraient décédés de malformations, de troubles cardiaques, de la coqueluche ou encore de la grippe.

À la suite des révélations de Mme Corless, des enquêtes ont été lancées dans le pays. Elles ont établi que 56.000 femmes célibataires et 57.000 enfants sont passés par 18 foyers de ce type entre 1922 et 1998. Parmi eux, environ 9.000 enfants sont morts.

Certaines de ces maisons étaient financées et gérées par les autorités sanitaires locales, d'autres par les ordres religieux catholiques. Le foyer de Tuam, lui, était administré par les sœurs du Bon Secours. "Tous ces bébés étaient baptisés, et pourtant l'Église a détourné le regard. Pour elle, cela ne comptait pas : ils étaient illégitimes, point final", accuse-t-elle.

"Sales petits secrets"

Malgré la découverte de premiers restes humains en 2016 et 2017, il a fallu attendre 2022 pour qu'une loi autorise officiellement les fouilles. Une lenteur que dénonce Anna Corrigan, étrillant ce qu'elle appelle une "justice à l'irlandaise". Elle avait une cinquantaine d'années lorsqu'elle a découvert que sa mère, décédée en 2012, avait donné naissance à Tuam à deux garçons: John et William.

Aucun certificat de décès n'a été établi pour William, et celui de John n'a pas fait l'objet d'une supervision médicale. Les rares documents auxquels Anna a pu accéder laissent planer de nombreuses zones d'ombre. Dans sa cuisine, elle montre à l'AFP un rapport de 1947, qui indique que John était "un enfant triste et émacié", alors qu'il était né en bonne santé un an plus tôt. William, lui, aurait pu faire l'objet d'une adoption illégale à l'étranger.

"Il y a en Irlande de sales petits secrets qu'on préfère cacher. Le pays a une image vertueuse à l'étranger, mais il a aussi un côté sombre, sinistre", lâche-t-elle, accusant les autorités de "tergiversations". En 2023, une équipe a enfin été nommée pour mener les opérations à Tuam.

Sa mission: retrouver, identifier et inhumer dignement les restes qui seront exhumés. Des échantillons ADN seront prélevés auprès de personnes capables d'attester un lien familial avec les bébés morts dans ce foyer. Des analyses que les proches attendent parfois depuis longtemps. À l'instar de Peter Mulryan, rescapé du foyer et à la recherche d'une sœur qui ferait partie des jeunes victimes. Aujourd'hui âgé de 80 ans, il est venu assister à l'inauguration du chantier de fouilles.

De son côté, Catherine Corless confie : "Je n'aurais jamais cru voir ce jour arriver. Tant d'obstacles ont été franchis". L'historienne locale reste néanmoins lucide. Elle sait, que les fouilles ne fourniront pas toutes les réponses. "Même si on parvient à identifier quelques restes, cela n'apportera pas la paix à tout le monde", souffle-t-elle.

Amélie Com avec AFP