Comment de petits délinquants sombrent dans le terrorisme

Capture d'écran d'une video surveillance montrant les trois hommes des attentats des attentats du 22 mars à l'aéroport de Bruxelles - -, BELGIAN FEDERAL POLICE/AFP/Archives
Les frères El Bakraoui à Bruxelles en sont un exemple. D'abord simples criminels, ils ont ensuite succombé à l'appel de l'islam radical. Alors que rien ne semble prédisposer ce genre d'individus à des actions-suicides au nom de la foi, ils basculent et embrassent une foi radicale qui les conduit à commettre des attentats.
Déclic psychologique
Il y a une forme de paradoxe. Avant de devenir terroristes, quand ces (ex) criminels sont en liberté, ils aiment l'argent, les belles voitures, la vie facile. En prison, les braqueurs sont respectés, souvent admirés par les autres prisonniers. Alors pourquoi un tel changement?
Comme Abdelhamid Abaoud, condamné en 2010 pour un braquage et organisateur présumé des attentats parisiens, "quand ils rencontrent l'islam radical, leur parcours devient une montagne de péchés", explique Amélie Boukhobza, psychologue clinicienne. "Et passé un certain seuil, la seule issue est la rédemption par le rachat total de ces pêchés, la position de martyr et la visée du paradis." En revanche, la question de savoir pourquoi la propagande de Daesh touche certains malfaiteurs et pas d'autres reste un mystère, lié à chaque personnalité.

Khalid El Bakraoui a fait un rêve
Condamné à cinq ans pour vol de voiture avec armes avant de se faire exploser avec son frère à Bruxelles, Khalid El Bakraoui a été porté par une révélation onirique selon le magazine en ligne de Daesh, Dabiq. Celui-ci affirme qu'en prison "un rêve a changé sa vie", dans lequel il s'est vu archer, combattant les infidèles aux côtés du Prophète.
Ceux qui basculent "croient dur comme fer aux précepts de Daesh", relève l'expert-psychiatre Daniel Zagury, "S'ils se font sauter, c'est parce qu'ils sont persuadés qu'une fois ce mauvais moment passé, ils vont entrer au paradis, dans un monde idéal de bonheur. Toute la reconnaissance qu'ils n'ont pas eu dans leur vie de malfaiteurs, ils vont l'avoir dans l'au-delà. Ils ont fait le deuil d'eux-mêmes, de leurs vies, de leurs familles".
Une espèce de dépression
"Leur vie de malfaiteurs sera rachetée en quelque chose d'héroïque, pour les siècles des siècles", ajoute Daniel Zagury, qui a expertisé des membres de réseaux jihadistes. "Il y en a un qui m'a expliqué qu'au moment du jugement dernier les anges se penchent sur vous, vous posent quelques questions et vous partez au paradis. Ce n'est pas un symbole, une image, une métaphore: pour eux, ce sont vraiment des anges qui vont venir. Ils n'ont aucun doute".
Certains malfaiteurs endurcis sont aidés dans leur conversion par ce que le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) décrit comme "une espèce de dépression" liée au sentiment d'être coincé dans leur vie. "A part un va-et-vient incessant avec la prison, toutes les issues leur semblent bouchées", dit-il. "Avec le temps les peines s'allongent, le soupçon est permanent. Et là une haine peut s'installer, qui est de nature différente de celle que peuvent éprouver les jeunes des banlieues".
Narcissisme profond
"Cela peut déboucher sur l'envie de chercher une fin héroïque : "ce n'est pas vous qui me tuez en me mettant en prison, comme une mort lente, c'est moi qui décide de mourir, mais de façon héroïque"", ajoute le sociologue, qui travaille régulièrement en prison. Pour lui, il y a toujours une "dimension échappatoire dans l'islam radical: la radicalisation transfère sur la mort un certain nombre d'enjeux qui sont ceux de la vie. La mort devient un défi ultime lancé à la société, une dernière exaltation de l'individu, une sorte de narcissisme profond".