Bombe H: pourquoi l'annonce de la Corée du Nord laisse les experts sceptiques

C’est une annonce surprise, tant en terme de timing que sur le fond: la Corée du Nord affirme mercredi avoir réussi son premier essai de bombe à hydrogène, bien plus puissante que la bombe atomique ordinaire, précisant que l'engin était "miniaturisé". Un test personnellement ordonné par le chef de l'Etat Kim Jong Un à deux jours de son anniversaire, ont rapporté des médias nord-coréens.
> Une bombe bien plus dangereuse que la bombe A
Ce nouvel essai nucléaire serait le quatrième mené dans le pays, malgré l'interdiction de la communauté internationale: plusieurs résolutions de l'ONU interdisent en effet à Pyongyang toute activité nucléaire ou liée à la technologie des missiles balistiques.
Pyongyang a testé trois fois la bombe atomique A, qui utilise la seule fission, en 2006, 2009 et 2013, ce qui lui a valu plusieurs séries de sanctions de la part de l'ONU. Cette fois-ci, le régime nord-coréen qu’il s’agit d’une bombe à hydrogène, ou bombe thermonucléaire. Ce type de bombe, mise au point dans les années 1950, utilise la technique de la fusion nucléaire et produit une explosion beaucoup plus puissante qu'une déflagration due à la fission, générée par les seuls uranium ou plutonium.
Pour se faire une idée, la bombe A larguée en 1945 par les Etats-Unis sur la ville d’Hiroshima, au Japon, représente une explosion de 15.000 kilos de TNT, rappelle Le Monde dans une vidéo. A titre de comparaison, quand les Etats-Unis déclenchent l’explosion de la première bombe H en 1952, celle-ci correspond à 10 millions de tonnes de TNT. Et avec la Tsar Bomba, en 1961, Russes repoussent les limites de l'imagination: celle-ci représente 50 méga tonnes, soit plus de 3.000 fois Hiroshima.
> Une bombe miniaturisée, plus inquiétante
C’est dire combien la mise au point d’une bombe H représenterait une hausse significative de la force de frappe nord-coréenne. De même, l'affirmation de la Corée du Nord, selon laquelle elle a réussi à miniaturiser la bombe - ce qui implique qu'elle peut être logée dans un missile - poserait une nouvelle menace aux Etats-Unis ainsi qu'à ses alliés traditionnels que sont le Japon et la Corée du Sud.
Signe que le pouvoir de nuisance de Pyongyang est pris au sérieux: le Conseil de sécurité de l'ONU a dans la foulée annoncé la tenue d’une réunion d'urgence mercredi matin à New York. Mais, tout en disant que les Etats-Unis répondraient de manière appropriée aux provocations et qu'ils défendraient leurs alliés, la Maison Blanche a dit ne pas être en mesure de confirmer les affirmations de la Corée du Nord. Régime le plus isolé au monde, le pays est coutumier des assertions invérifiables sur son programme nucléaire.
> Les experts sceptiques
Les spécialistes du nucléaire ont pour leur part accueilli avec le plus grand scepticisme l'annonce de Pyongyang. Selon eux, l'activité sismique détectée correspond à l'explosion d'un engin bien moins puissant.
Avant l'annonce nord-coréenne, l'Institut américain de géologie (USGS) a indiqué mercredi avoir enregistré un séisme de magnitude 5,1 près d'un site d'essais nucléaires nord-coréen. Selon l'USGS l'épicentre du séisme survenu à 10 heures (2h30 heure française) se trouve dans le nord-est du pays, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Kilju, soit tout près du site d'essais nucléaires de Punggye-ri. Le précédent test nucléaire nord-coréen, remontant en 2013, avait provoqué un tremblement de terre d'une magnitude de 5,1, selon les données USGS.
"Les données sismologiques suggèrent que l'explosion a été considérablement moins forte que celle qu'on attendrait d'un essai de bombe H", explique le spécialiste de la politique nucléaire Crispin Rovere, basé en Australie. "A première vue, il semblerait qu'ils aient mené un essai nucléaire réussi mais n'ont pas réussi à mener à bien la deuxième étape, celle de l'explosion d'hydrogène".
"Je ne pense pas que c'était une bombe H car l'explosion aurait été bien plus forte", estime de la même façon Choi Kang, vice-président de l'Institut pour les études politiques, basé à Séoul.
Bruce Bennett, analyste à la Rand Corporation, doute également des affirmations de Pyongyang: "S'il s'était agi d'une véritable bombe H, le relevé de l'échelle de Richter aurait dû être 100 fois plus élevé, d'une magnitude de l'ordre de 7", a-t-il dit.
D’après ce spécialiste, l'explosion de mercredi correspondait à un engin de 10 à 15 kilotonnes, de la taille de celle larguée sur Hiroshima en 1945. S'il s'agissait d'une bombe H, il se peut selon lui que la fusion ait échoué, ou que la fission ne se soit pas correctement produite.
"Si c'est une bombe H, pour l'instant elle n'est pas très au point", estime sur BFMTV Bruno Comby, polytechnicien et ingénieur en génie nucléaire.
Pour Seong Chai-Ki, chercheur à l'Institut coréen pour les analyses de défense, l'explosion de mercredi était plus probablement celle d'une bombe à fission dopée -où la fusion entre aussi en jeu- souvent considérée comme une étape intermédiaire avant la bombe H. "Certains s'attendaient à ce que la Corée du Nord teste d'abord une bombe à fission dopée, avant d'essayer directement une bombe à hydrogène", a-t-il observé.
> Les lacunes de la Corée du Nord
Bombe H ou pas, de l’avis des experts, la Corée du Nord ne peut pas encore se targuer d’être une puissance nucléaire au sens où elle n'a pas prouvé sa capacité à équiper un missile balistique d'une charge nucléaire.
En décembre 2012, une fusée avait été tirée et un satellite mis en orbite (même si celui-ci n'a pas survécu), ce qui avait marqué un jalon dans le développement d'un missile balistique intercontinental (ICBM). Mais des obstacles techniques demeurent: les experts soulignent notamment que si la fusée était alors entrée dans l'espace, elle n'est pas revenue dans l'atmosphère en poursuivant une trajectoire de "frappe" sur un objectif terrestre.