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Asie

À Paris, le président birman tente d'éviter la question des Musulmans persécutés

Le 18 juillet 2013, à Paris, des Rohingya manifestent contre la visite de Thein Sein

Le 18 juillet 2013, à Paris, des Rohingya manifestent contre la visite de Thein Sein - -

Thein Sein est venu à Paris, du 16 au 18 juillet. Officiellement, il est le président de la République de l'Union du Myanmar. Pour la diplomatie française, le Myanmar reste la Birmanie, mais outre cela, Thein Sein, général devenu président d'une junte qui se mue péniblement et imparfaitement en démocratie, pose un gros problème.

Il y a dans son pays plusieurs drames humanitaires, dont l'un ne saurait être ignoré: l'expulsion à coup de machettes, de flammes et de balles de milliers de Birmans de leurs foyers.

Des Birmans atypiques: une ethnie indo-aryenne par la langue (proche sans être inter-intelligible du bengali), et musulmane par la religion. Les Rohingya, voilà leur nom, descendants de générations immémorielles d'habitants de cette région d'Arakan, région qu'ils partagent avec une ethnie bouddhiste, les Rakhine.

Estimés autour du million en Birmanie, les Rohingya composent la principale ethnie musulmane, et ils sont des milliers à fuir depuis des mois, par terre et surtout par mer, essentiellement en direction du Bangladesh voisin.

C'est là qu'ils sont parqués, ou refoulés. Ils sont ethniquement proches de certains groupes du Bangladesh, mais ne sont nullement des ressortissants réels ou virtuels de cet État. Signalons que l'ethnie centrale, géographiquement et politiquement, est celle des Bamar. Thein Sein est Bamar, tout comme Aung San Suu Kyi.

National-bouddhisme

Les mosquées rohingya les plus anciennes, parfois multiséculaires, sont détruites avec soin. Parfois remplacées par des pagodes. La Birmanie est recouverte de pagodes, plus que de raison, depuis plusieurs décennies. La junte, c'est elle qui l'a voulue, a poussé cette société à 95% bouddhiste à une espèce de national-bouddhisme.

Thein Sein est un général issu du cœur de cette junte, éventuellement est-il le plus éclairé de ses membres, mais de là à supposer qu'il soit le moins informé... Éventuellement n'est-il pas l'ultime homme fort du régime mystérieux.

Dernièrement, des Rakhine arrivent dans les quartiers Rohingya, brûlent, pillent, violent, tuent, expulsent. Deux cents morts en un an, sans doute davantage. Des milliers d'expulsés. C'est du nettoyage ethnique mené par des foules rakhine bouddhistes fanatisées agissant dans l'indifférence – voire la complicité – des diverses polices.

Les Rohingya ont le triste privilège d'être méprisés, considérés comme des étrangers, des immigrés, des djihadistes, etc. Certes, à l'occasion, certains se vengent sur un passant rakhine, déplorablement. Mais les proportions sont dérisoirement inégales. 

En France, le président Thein Sein a évité le cœur du sujet: une mauvaise propagande s'acharne contre lui, "une entreprise de dénigrement", et en outre "il n'y a pas de nettoyage ethnique au Myanmar". Il l'a dit à France 24, unique média français qu'il a daigné rencontrer lors de cette visite française, média qui lui a d'ailleurs posé la question Rohingya sans détour.

Un communiqué élyséen sauve l'honneur

François Hollande n'a pas arrangé de conférence de presse côte-à-côte, le président birman (ou faut-il dire myanmarais?) a échappé à un mauvais quart d'heure. Mais l'Élysée a quand même pondu un communiqué le 18 juillet, avant même le départ du président birman.

Le président de la République a souligné la nécessité "que toute la lumière soit faite sur les violences intercommunautaires récentes, afin que les responsables de celles-ci soient présentés à la justice. Il a exprimé la préoccupation de la France face à la persistance de conflits armés notamment dans l’Etat Kachin [autre problème ethnique local, sans le facteur islamique] et la situation de la communauté Rohingya dans l’Arakan ainsi que par les violences de nature confessionnelle".

C'est déjà assez clair, et Thein Sein ne peut plus dire qu'on ne lui a rien dit. Même Aung San Suu Kyi est au courant désormais, mais il est vrai qu'elle a fait allusion à cette situation par le passé. De l'avis des spécialistes, ce n'est pas en défendant les Rohingya qu'elle gagnera des voix.

Déferlante humanitaire contre la dérive raciste

Pendant la visite de Thein Sein, les ONG humanitaires n'ont cessé de dénoncer le massacre des Rohingya, dans une conférence, et deux manifestations. Plusieurs ONG, HAMEB (Halte au Massacre en Birmanie), et aussi Avaaz.org, ONG qui s'élève contre les nombreuses injustices de masse dans le monde. Et Info-Birmanie, ainsi que plusieurs collectifs Rohingya d'Europe, évidemment (ils sont une centaine en France). Tous ont relevé les agissements d'un bonze Bamar bouddhiste, Wirathu, qui estime passionnément que les Musulmans en général et les Rohingya en particulier sont des étrangers islamistes dangereux et infréquentables, à boycotter économiquement et socialement.

Time Magazine a fait de Wirathu sa couverture, le 1er juillet 2013, sous le titre "Le Visage bouddhiste de la terreur".

Aussi, une journaliste indépendante française, Sophie Ansel, spécialiste des minorités persécutées de Birmanie, a même co-écrit un livre avec un Rohingya, Habiburahmann Nous, les innommables. Un tabou birman, dans lequel elle décrit le sort lamentable de cette ethnie au travers du parcours réel de ce Rohingya poussé à l'exil.

Elle était présente à Paris lors du passage de Thein Sein, pour raconter la situation qu'elle a découverte dans l'Arakan. "Le gouvernement veut prouver que les Rohingya sont des immigrés. Mais pourquoi affluer du Bangladesh, nettement moins pauvre, pour se jeter dans les bras d'un régime d'apartheid?" Techniquement, Sophie Ansel a raison: le régime birman ne veut même pas reconnaître la nationalité birmane des Rohingya, et ne leur décerne pas les documents d'identité des citoyens ordinaires.

Harold Hyman