Amnesty International: lors de ventes d'armes "tout dépend à qui elles sont vendues"

Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France, sur BFM Story le 26 avril 2016. - BFMTV
Le pays des droits de l'homme qui devient l'un des plus gros vendeurs d'armes au monde, est-ce une bonne nouvelle? Le groupe DCNS a décroché la construction de la prochaine génération de sous-marins australiens pour une somme record de 34 milliards d'euros. On parle du contrat du siècle. Les satisfecit n'ont pas manqué de se faire entendre ce mardi, François Hollande en tête.
Avec 4.000 personnes impliquées par le programme côté emploi, comme l'a rappelé le PDG du groupe sur BFMTV, cette annonce tombe à point nommé dans un marché du travail plutôt morose. Mais les créations d'emploi liées à des activités militaires soulèvent nécessairement des questions éthiques. Invités de BFM Story, Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France et Peer de Jong, ancien colonel des troupes de marines, ont apporté leurs éclairages.
"Un contexte stratégique extrêmement complexe"
La représentante de l'ONG des droits de l'homme a insisté, avant tout, sur le destinataire et l'usage des armes lors d'une vente: "Tout dépend à qui elles sont vendues et pour quoi faire!". Un traité sur le commerce des armes a d'ailleurs été adopté aux Nations unies et est entré en vigueur le 24 décembre 2014. Les Etats signataires doivent s'assurer que les armes qu'ils vendent ne doivent pas être utilisées pour réprimer à l'intérieur de leur pays ou pour commettre des crimes graves à l'extérieur. "Là, en l'occurrence, on n'est pas comme sur l'Egypte ou l'Arabie saoudite", a souligné Geneviève Garrigos.
"Le contexte stratégique extrêmement complexe" est aussi important, a remarqué Peer de Jong. L'Australie est dans une zone avec à certains endroits des revendications territoriales très fortes. Il y a, selon lui, un contexte géostratégique qui nécessite d'avoir une marine performante. "Les Chinois occupent une partie de l'archipel des Paracels en mer de Chine. L'Australie s'achète des moyens de contrôler les routes maritimes, de protéger ses côtes et ses intérêts. D'autres le font, la Malaisie a acheté deux sous-marins à la France, il y a quelques années. La Thaïlande veut s'équiper", a-t-il expliqué.
La nature du matériel
Les précédents gros contrats d'armement de la France à l'étranger pouvaient plus facilement être critiqués, comme ce fut le cas pour le Qatar, l'Inde ou l'Egypte. L'utilisation de certains matériels vendus à l'Egypte a d'ailleurs été pointée du doigt. Geneviève Garrigos a rappelé qu'en 2013, les ministres des Affaires étrangères européens avaient adopté une résolution pour geler les exportations vers l'Egypte. Pour appuyer son propos, la militante a brandi sur le plateau de BFMTV une photo montrant des forces de l'ordre, équipées comme des CRS, en Egypte devant un camion Renault. "Cette photo a été prise lors de la répression d'une manifestation, le 15 avril juste avant le voyage de François Hollande. Il y a des dizaines de camions de cette nature qui ont été vendus, ils sont aujourd'hui utilisés pour transporter les troupes et réprimer", a-t-elle déploré.
Pour Peer de Jong, "il y a une différence énorme entre l'armement létal et le non létal". En l'occurrence, la camionnette a servi uniquement à transporter du personnel, et elle n'avait pas de mitrailleuse. Pour Geneviève Garrigos, cet argument ne tient pas: qu'importe la nature du matériel, services, transports ou autres, s'il est utilisé à des fins répressives, des questions morales se posent.
Pas de vente à des pays ennemis
L'ancien militaire a tenu également à ajouter que la vente de matériel militaire était extrêmement encadrée. "Très concrètement, la France ne vend pas des armes à des pays ennemis ou à Daesh. Les vendeurs d'armement sont tenus de demander l'autorisation au gouvernement français d'exporter de l'armement quel qu'ils soit. La Direction générale des armements (DGA) contrôle avec des mesures de vérification extrêmement importantes. L'utilisateur final signe un papier précisant que le matériel ne peut pas être exporté", a-t-il détaillé.
Mais pour Amnesty international, le gouvernement français n'exerce pas suffisamment de contrôles. Geneviève Garrigos a pris pour exemple le contrat Donas avec l'Arabie Saoudite, qui était de l'armement initialement destiné au Liban mais qui a été transféré sur l'Arabie Saoudite. "Au bout de ce contrat, on retrouve du matériel, qui est utilisé par l'Arabie Saoudite au Yémen, où sont commis des crimes de guerre", a-t-elle déploré.