"Il est très triste": un sénateur américain raconte sa rencontre avec le Salvadorien expulsé à tort par l'administration Trump

Le sénateur démocrate américain Chris Van Hollen et le Salvadorien Kilmar Abrego Garcia à San Salvador, le 18 avril 2025 - x account of senator Van Hollen / AFP
Le sénateur démocrate américain Chris Van Hollen a rencontré jeudi 18 avril le Salvadorien Kilmar Abrego Garcia, expulsé à tort des États-Unis et désormais détenu au Salvador. Une affaire devenue emblématique de la politique migratoire à la limite de la légalité de l'administration Trump.
Ce père de famille de 29 ans, marié à une Américaine, fait partie des plus de 250 hommes expulsés le 15 mars vers le Salvador, la plupart pour appartenance présumée au gang vénézuélien Tren de Aragua, déclaré organisation "terroriste" par Washington.
L'administration américaine a reconnu que son expulsion résulte d'une "erreur administrative" mais se dit dans l'incapacité d'y remédier, Kilmar Abrego Garcia étant désormais détenu par les autorités salvadoriennes.
Coupé de sa famille
"J'ai dit que mon principal objectif lors de ce voyage était de rencontrer Kilmar. Ce soir (jeudi), j'en ai eu l'occasion. J'ai appelé sa femme, Jennifer, pour lui transmettre son message d'amour", a écrit sur X le sénateur du Maryland, l'État dans lequel résidait le Salvadorien.
"Il m'a dit qu'il était très triste d'être en prison, car il n'avait commis aucun crime", a rapporté le sénateur démocrate de retour aux États-Unis, comme le relate NBC News.
Kilmar Abrego Garcia a été d'abord incarcéré avec les autres criminels vénézuéliens présumés dans une giga-prison construite par le président du Salvador Nayib Bukele. Il a ensuite été transféré dans une autre prison du pays aux conditions de détention moins rudes, mais toujours sans accès au monde extérieur ni contact avec sa famille, a précisé Chris Van Hollen.
Selon lui, le Salvadorien a subi un "traumatisme" et son expulsion, suivie de son incarcération, est comparable à un "enlèvement".
"Il est important que les gens comprennent que cette affaire ne concerne pas un seul homme". "Si vous niez les droits constitutionnels d'un homme, vous menacez les droits constitutionnels de tous en Amérique", s'est alarmé Chris van Hollen.
Mise en scène
Chris Van Hollen a aussi dénoncé la mise en scène déployée par les autorités salvadoriennes lors de sa rencontre avec Kilmar Abrego Garcia. Sur les images, les deux hommes sont attablés dans un hôtel, près d'une piscine, sur insistance des autorités du pays d'Amérique centrale, "pour donner l'impression que la vie est belle pour Kilmar", a accusé vendredi le sénateur.
Mais la mise en scène va plus loin, selon lui. "Nous avions simplement des verres d'eau sur la table. Peut-être du café. Et, pendant qu'on discutait, un des représentants du gouvernement (salvadorien) a déposé deux autres verres, avec des glaçons et du sel ou du sucre sur les bords. Ça ressemblait à des margaritas", un cocktail, poursuit-il.
"Kilmar Abrego Garcia, miraculeusement ressuscité des 'camps d'extermination' et de la 'torture', boit maintenant des margaritas avec le sénateur Van Hollen dans le paradis tropical du Salvador!", a raillé sur son compte X le président du Salvador Nayib Bukele, allié de Donald Trump dans son offensive contre l'immigration en mettant ses prisons à sa disposition.
"Si vous regardez celui qu'ils ont mis devant Kilmar, il est un peu moins plein que celui devant moi, je suppose pour essayer de faire croire qu'il a bu. Je veux être très clair: aucun de nous deux n'a touché les verres", a rectifié Chris Van Hollen.
"Et si vous voulez jouer les Sherlock Holmes, ils ont fait une petite erreur: si vous buvez, une partie de ce qu'il y a autour - sel ou sucre - disparaît. Or il n'y a pas de creux. Personne n'a bu ni margarita, ni eau sucrée, ni quoi que ce soit", a-t-il ajouté.
Un membre du MS-13?
Si la Cour suprême a ordonné de "faciliter" le retour de Kilmar Abrego Garcia aux États-Unis, ni l'administration américaine ni les autorités du Salvador ne sont disposées à le faire sortir de prison. En cause, son appartenance présumée au gang hispanique MS-13. Sur X, Donald Trump a publié une photo des phalanges tatouées de Kilmar Abrego Garcia, censée prouver son appartenance à cette organisation criminelle.
En 2019, Kilmar Abrego Garcia avait été arrêté par la police, sur ordre d'un juge ayant recueilli la dénonciation d'un informateur anonyme l'accusant d'appartenir à la MS-13 à New York. Le Salvadorien a été visé par un arrêté d'expulsion mais celui-ci a été définitivement annulé par un tribunal fédéral.
Selon son avocat, Me Simon Sandoval-Moshenberg, Kilmar Abrego Garcia n'a jamais vécu à New York et "n'a jamais été condamné pour le moindre délit, en lien ou pas avec des gangs".
Si Kilmar Abrego Garcia a vu sa demande d'asile lui être refusée, un juge lui a accordé la protection légale pour qu'il ne soit pas renvoyé au Salvador où il est considéré en danger, et un permis de travail lui a été accordé.
Victime d'extorsions mafieuses
Kilmar Abrego Garcia est né à San Salvador en 1995 d'un père officier de police et d'une mère qui tenait un commerce de bouche, selon les documents présentés au juge de l'immigration en 2019. Avec un frère et deux sœurs, il aidait à maintenir l'affaire familiale.
Le pays était alors totalement sous la coupe de la MS-13 et de son rival le Barrio 18, qui ont fait du nord de l'Amérique centrale (Honduras, du Guatemala et Salvador) l'une des régions les plus violentes et dangereuses au monde.
Le Barrio 18 a commencé à extorquer le commerce familial, menaçant de mort les membres s'ils ne s'exécutaient pas. Craignant que Kilmar et son frère ne soient recrutés par le gang, ses parents les ont envoyés aux États-Unis où, selon les médias salvadoriens, vit aujourd'hui la plupart de la famille.
Un "père excellent"
Kilmar Abrego Garcia est arrivé en 2011 dans l'État du Maryland, où il a commencé à travailler comme manoeuvre sur des chantiers. Sept ans plus tard, il a entamé une relation avec Jennifer Vasquez Sura, et de cette union est né un fils diagnostiqué avec un syndrome autistique.
La mère de famille a témoigné auprès de CASA, une ONG du Maryland qui s'occupe des migrants, que Kilmar Abrego Garcia est un "père excellent", "principal soutien de notre foyer et l'amour de ma vie depuis plus de sept ans". "Depuis que notre famille a été séparée, je suis détruite", a-t-elle affirmé.
Le département de la Sécurité intérieure a lui exhibé sur X une copie de l'ordonnance de protection civile que Mme Vasquez Sura avait demandée contre son mari en 2021.
Sur CNN, elle a indiqué en avoir fait le dépôt après une dispute avec son mari car elle sortait d'une relation marquée par des violences conjugales. "Nous avons réussi à surmonter cette situation en privé en tant que famille, notamment en suivant une thérapie. Notre mariage n'a fait que se renforcer dans les années qui ont suivi. Personne n'est parfait, et aucun mariage n'est parfait", a-t-elle dit.