Affaire Weinstein: ce que risque le producteur devant la justice

Une enquête a été ouverte à New York dans l'affaire Harvey Weinstein. - AFP
Des accusations d'une extrême gravité et une condamnation du monde du cinéma et de l'opinion publique qui pourrait ne pas se traduire par une décision judiciaire. Harvey Weinstein, producteur américain de cinéma aux 300 nominations aux Oscars, est visé par une série d'accusations de harcèlement et agression sexuels par des actrices, des mannequins et d'anciennes employées. Certaines révèlent avoir été violées. Un crime passible de 3 à 8 ans de prison devant un tribunal californien.
Une semaine après le début de l'affaire Weinstein, révélée par le New Yorker et le New York Times, celle-ci s'est transformée en dossier Weinstein. Une enquête a été ouverte par le procureur de Manhattan et confiée à la police de New York sur une agression sexuelle présumée. D'autres investigations pourraient suivre si, par exemple, le procureur du comté de Los Angeles était informé de faits qui se seraient déroulés en Californie.
Au Royaume-Uni, Scotland Yard a d'ores et déjà annoncé l'ouverture d'une enquête pour abus sexuels, annonce The Guardian. La justice française pourrait également entrer en scène alors que l'actrice italienne, Asia Argento, a confié avoir eu une relation sexuelle orale non consentie avec le magnat d'Hollywood, dans un hôtel situé sur la Côte d'Azur.
Prescription
Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow, Rosanna Arquette, mais aussi Emma de Caunes et Léa Seydoux... Si aujourd'hui les voix sont nombreuses à s'élever pour dénoncer le comportement et les déviances d'Harvey Weinstein, au moment des faits, il y a plus de 20 ans pour certains, peu ont osé parler. Or, la justice pourrait être confrontée à un obstacle: la prescription.
"Depuis l’affaire Cosby, pour les infractions à caractère sexuel, les viols, plusieurs Etats ont rallongé ou même supprimé le délai de prescription", note Me Arthur Dethomas, avocat aux barreaux de Paris et de New York. "Aujourd'hui à New York, il n'y a plus de prescription pour les viols."
Toutefois, rien ne dit que cette modification juridique signifie qu'elle s'appliquera obligatoirement sur des faits antérieurs. De plus, les délais de prescription ne sont pas les mêmes pour les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel, dont la caractérisation juridique est très complexe. "Le délai varie entre six mois et un an pour le harcèlement sexuel", précise Me Christopher Mesnooh, avocat pénaliste au barreau de Paris, New York et Washington.
Recueillir des preuves
D'après les témoignages recueillis par la presse, Harvey Weinstein procédait toujours de la même manière. Le magnat d'Hollywood, faiseur et défaiseur de carrières, invitait les jeunes actrices et mannequins dans sa chambre d'hôtel avant de leur faire des avances, de leur demander des faveurs sexuelles ou de tenter de les embrasser. Trois d'entre elles parlent de relations sexuelles non consenties. Reste qu'aujourd'hui, les faits sont anciens et plus difficiles à caractériser. Pour le harcèlement sexuel, c'est souvent parole contre parole.
Pour les faits les plus récents, il faudrait que les victimes acceptent de se rendre devant un grand jury pour témoigner. "Aux Etats-Unis, lors d'un procès pénal, le degré de preuves est très élevé", rappelle Me Dethomas. C'est désormais au procureur d'accumuler témoignages, enregistrement, photos, et pourquoi pas traces ADN, ce qu'on appelle le "probable cause", les causes probables. Cyrus Vance - le procureur de New York au moment de l'affaire DSK - entendra également les victimes et connaîtra leurs souhaits quant à la suite de la procédure.
"Il peut aussi choisir indépendamment d'engager des poursuites devant un tribunal pénal, c'est à sa libre discrétion", note Me Christopher Mesnooh.
Frilosité de la justice
En 2015, le procureur de New York s'était montré frileux. Il n'avait pas engagé de poursuites contre Harvey Weinstein, alors même que la police de New York détenait un enregistrement accablant pour le producteur. On y entend le magnat d'Hollywood demander avec insistance à une mannequin de monter dans sa chambre. La jeune femme refuse, lui demande pourquoi il lui a touché les seins la veille. Weinstein répond être "habitué à ça" et face au refus de la jeune femme, la menace de briser sa carrière. Des révélations qui pourraient éclabousser désormais le bureau du procureur de Manhattan.
"Une condamnation au pénal se fait au-delà d’un doute raisonnable", détaille l'avocat du barreau de New York. "Si la défense réussit à insinuer un doute auprès du jury, celui-ci ne doit en principe pas prononcer la condamnation."
A la différence du système français, les victimes pourraient choisir d'assigner, dans une action totalement distincte, Harvey Weinstein dans le cadre d'une procédure civile. Ce pourrait notamment être le cas pour des faits de harcèlement sexuel. Lors d'un procès civil, il n'y a pas de procureur et l'instruction n'est donc pas menée par le ministère public. Le jury se prononce toutefois sur la "prépondérance des preuves". Aucune peine de prison ne peut être prononcée, seuls des dommages et intérêts peuvent être réclamés.
Défense de stars
Harvey Weinstein avait également tenté de se protéger. Outre les cadeaux qu'il pouvait envoyer aux actrices pour les faire taire, le producteur leur faisait également signer des clauses de confidentialité. Si elles venaient à parler devant la justice, bravant leurs obligations, cela se retournerait contre elles, alors que la justice américaine ne plaisante pas avec le non-respect des contrats et que Weinstein s'est entouré d'une armée de juristes et d'avocats de renom. Blair Berk, pénaliste connue pour avoir défendu Kanye West, Britney Spears et Lindsay Lohan, rejoindrait Charles Harder, connu lui pour avoir défendu le catcheur Hulk Hogan contre le site Gawker, Patricia Glaser et David Boies.
Depuis le début de l'affaire, Harvey Weinstein a publié un message d'excuses dans le New York Times, confirmant à demi-mots les accusations de harcèlement, mais nie en bloc les accusations de viols: "Toutes les accusations de relations sexuelles non consenties sont réfutées par M. Weinstein", a commenté Sallie Hofmeister, sa porte-parole. "M. Weinstein a également confirmé qu'il n'y avait jamais eu de représailles contre des femmes qui avaient refusé ses avances", a-t-elle ajouté. Lors de la procédure, le producteur pourrait respecter son droit à ne pas s'auto-incriminer et garder le silence. Un droit, prévu par le cinquième amendement de la Constitution, très respecté par la justice américaine.