Tunis : Un dirigeant de l'opposition laïque assassiné

Rached Ghannouchi nie toute implication de son parti Ennahda dans cet assassinat - -
Chokri Belaïd, l’un des chefs de file de l'opposition laïque en Tunisie a été abattu devant son domicile mercredi à Tunis. Un assassinat dénoncé par le Premier ministre Hamadi Jebali, qui y voit un coup porté à la "révolution de jasmin" de 2011.Ce meurtre a provoqué des manifestations dans plusieurs villes, notamment à Tunis et à Sidi Bouzid, le berceau de la "révolution de jasmin" de l'hiver 2010-2011. Selon des témoins, les bureaux d'Ennahda, parti islamiste modéré qui dirige le gouvernement de coalition, ont été incendiés à Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax. Le chef de file d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a affirmé que sa formation était totalement étrangère à l'assassinat de Belaïd. « Ils (les laïques) mobilisent contre nous après la mort de Chokri Belaïd (...) Le résultat, c'est que les sièges de notre parti dans plusieurs villes ont été attaqués et incendiés », a-t-il dit. « Le parti Ennahda est totalement innocent de l'assassinat de Belaïd », a martelé le chef du parti islamiste. « Les seuls à qui profite cet assassinat, ce sont les ennemis de la révolution. »« La Tunisie connaît aujourd'hui l'impasse politique la plus grave depuis la révolution. Nous devons garder notre calme et ne pas nous laisser entraîner dans une spirale de violence. Plus que jamais, il faut que nous restions unis », a ajouté Rached Ghannouchi.
Le Premier ministre Hamadi Jebali, également membre d'Ennahda, a condamné un « assassinat politique » et un coup porté à la révolution tunisienne. « En le tuant, ils ont voulu le faire taire », a-t-il commenté.
Des milliers de personnes manifestent
Chokri Belaïd, 49 ans, est décédé dans la matinée à l'hôpital après avoir été atteint par quatre balles tirées dans la tête et dans la poitrine. Un millier de personnes se sont rassemblées devant le ministère de l'Intérieur à Tunis pour crier leur colère. « Honte, honte à vous, Chokri est mort! », « Où est le gouvernement? », « Le gouvernement doit partir! », scandaient les manifestants. Les forces de sécurité ont bouclé le secteur. Des milliers de personnes manifestaient aussi à Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, pour dénoncer l'assassinat de Belaïd. « Plus de quatre mille personnes sont en train de protester maintenant, en brûlant des pneus et en lançant des pierres sur les policiers », a dit Mehdi Horchani, un habitant de la ville.
La police tunisienne a tiré en l'air mercredi à Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, pour disperser les manifestants, rapportent des témoins. Les forces de l'ordre sont également intervenues dans la capitale à l'aide de gaz lacrymogène pour disperser un rassemblement devant le siège du ministère de l'Intérieur.
L'immolation par le feu le 17 décembre 2010 d'un marchand de primeurs de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, 26 ans, avait été l'événement déclencheur du premier soulèvement du "printemps arabe" qui a abouti à la chute du président Zine Ben Ali le 14 janvier 2011.
Le président tunisien Moncef Marzouki a écourté une visite en France, où il s'était rendu pour une réunion au Parlement européen, et annulé sa présence au sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) jeudi dans la capitale égyptienne. Pour le chef de l'Etat tunisien, la concomitance entre l'assassinat de celui qui était « son ami de longue date » et sa propre présence au Parlement européen n'est pas un hasard. « C'est une menace, c'est une lettre qui ne sera pas reçue. Nous continuerons à dénoncer les ennemis de la révolution », a-t-il déclaré devant les eurodéputés.
Chokri Belaïd, l'une des voix les plus « courageuses » de la Tunisie
A Paris, François Hollande a condamné l'assassinat « avec la plus grande fermeté ». « Ce meurtre prive la Tunisie d'une de ses voix les plus courageuses et les plus libres », précise l'Elysée dans un communiqué. « Chokri Belaïd s'est engagé tout au long de sa vie publique dans les combats pour la liberté, la tolérance et le respect des droits de l'Homme avec cette conviction profondément enracinée en lui que le dialogue et la démocratie doivent être au cœur de la nouvelle Tunisie », poursuit la présidence française. « C'est ce message d'unité et de rassemblement des Tunisiens en faveur des libertés fondamentales que les assassins (...) ont souhaité briser. La France est préoccupée par la montée des violences politiques en Tunisie et appelle au respect des idéaux portés par le peuple tunisien lors de sa révolution », conclut le communiqué.
Chokri Bekaïd, était le secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates, une des composantes du Front populaire, constitué de douze partis politiques et associations de gauche, nationalistes et écologistes, ainsi que de nombreux intellectuels indépendants. C'est la Tunisie qui avait donné durant l'hiver 2010-2011 le signal des soulèvements dans le monde arabe. Ennahda a remporté 42% des sièges au Parlement lors des élections d'octobre 2011 et a formé un gouvernement de coalition avec deux formations laïques, le Congrès pour la République de Moncef Marzouki et le parti Ettakatol. Les difficultés économiques ont provoqué ces derniers mois des manifestations parfois violentes et le gouvernement a accusé des militants liés à Al Qaïda de stocker des armes dans le pays en vue d'y instaurer par la force un Etat islamiste.