Les deux fronts du président du Mali : le Nord et les putschistes

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Doit-on parler de guerre civile, de guerre ethnique ou religieuse ?
La religion sert à certains pour assouvir leurs visées politiques, voire criminelles et crapuleuses. Bien sûr la population adhère fortement à l'islam, mais quel islam ? Depuis le 13e siècle il est tolérant et humain. Sur plan le ethnique, le Mali est une mosaïque multiséculaire, mais l'équilibre est quand même faible et ne tient qu'à certains leviers. Sur le plan civil, il faut constater qu'on n'en est pas à la guerre civile, la société tient grâce à des moeurs et coutumes qui cimentent, la mayonnaise ne se défait pas.
Comment qualifier les événements actuels?
Dans le Nord, il s'agit d'une instrumentalisation de la religion, sous sa forme la plus dure, pour favoriser le trafic de drogue. L'objectif est l'internationalisation de la charia de la drogue. Il y a des parrains extérieurs, à Doha, à Alger, à Ouagadougou.
Au Sud, il s'agit d'une vieille confrontation politique entre "restaurateurs" (héritiers de l'ancien régime militaire 1968-1991) et les démocrates (héritiers du Mouvement démocratiques des années 90). Les restaurateurs sont menés par l'ancien chef de ce régime militaire, Général Moussa Traoré, qui a fait 10 ans de prison. Il utilise une variante modérée de la religion, le soufisme, mais c'est quand même de la religion. Le mouvement démocratique quant à lui lutte depuis le sommet de la Baule en 1990, et réunit tout le spectre de la gauche à la droite. Son but : maintenir le régime démocratique, laïc et républicain.
Donc la République craint deux choses : une dérive autoritaire des restaurateurs, et une imposition de la charia de la drogue dont j'ai parlé.
Il semblerait qu'en plus de la guerre nord-sud, il y a de terribles tensions à l'intérieur de chacune des deux zones ?
TG: Au Nord, AQMI a eu un enfant, le Mujao (Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique occidentale) qui est surtout un groupe crapuleux. Côté touareg, le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad, nom Touareg pour l'hypothétique État du Nord-Mali), sont des indépendantistes plus ou moins de bon aloi, mais qui se sont trompés lourdement. D'abord en attaquant atrocement des élèves officiers de l'armée malienne à Aguel-hok le 17 janvier 2012. Ensuite en se coalisant avec AQMI, ce qui a produit un groupe touareg mutant, Ansar Dine, obsédé par la charia et le trafic de drogue (chef Iyad Ag Ghaly). Les djihadistes sont donc groupés à trois contre le MNLA, même s'ils ne s'adorent pas et ne se coordonnent pas.
Au Sud, les restaurateurs autour de Moussa Traoré et ses héritiers dans armée (dont le capitaine putschiste Sanogo) livrent une bataille à mort contre le mouvement démocratique. Ces restaurateurs sont en outre divisés en deux courants qui s'affrontent épisodiquement. Le mouvement démocratique quant à lui est trop dispersé pour former un front commun.
Le président par intérim Dioncounda Traoré paraît faible, mais a quand même osé réclamer l'intervention française. Est-ce que le pouvoir légal tient réellement les rênes ?
Dioncounda Traoré, président de la République par intérim, tire sa légitimité du rétablissement de l'ordre constitutionnel après le putsch. Cependant, il sait qu'il n'est que de passage et que les restaurateurs sont à l'affût. C'est si vrai qu'aux premières heures de l'assaut djihadiste sur Konna il a échappé à une nouvelle tentative de putsch. Et c'est là que son appel à la France pour stopper l'assaut sur Konna lui a permis indirectement de dissuader les initiateurs du coup d'État.