Flambée de violences au Soudan du Sud: que se passe-t-il dans le plus jeune Etat du monde?

Riek Machar (à gauche), premier vice-président, et Salva Kiir (à droite), président du Soudan du Sud, le 29 avril 2016 à Juba. - ALBERT GONZALEZ FARRAN / AFP
Depuis jeudi soir, deux jours avant le 5ème anniversaire de son indépendance, le Soudan du Sud est confronté à une flambée de violences. Ces affrontements, dont certains à l’arme lourde, auraient fait plus de 150 morts en quelques jours dans différents quartiers de la capitale, Juba. Les violences qui opposent les troupes du président Salva Kiir à celles du vice-président Riek Machar, viennent raviver les blessures d’un pays confronté à de graves troubles depuis des décennies.
Une économie aux abois
Pendant 22 ans, le Soudan du Sud s’est opposé à Khartoum, la capitale nordiste du Soudan. Cette guerre d’indépendance a abouti à un référendum et à la création d’un nouvel Etat, le 9 juillet 2011, composé majoritairement de Chrétiens, face au nord à majorité musulmane. L’indépendance a mis fin à six ans d’autonomie et à des décennies de guerre entre rebelles sudistes et gouvernements successifs de Khartoum, qui a fait des millions de morts.
Mais depuis son indépendance, les combats n’ont jamais complètement cessé, et le Soudan du Sud fait face à de multiples problèmes: une inflation galopante, qui avoisine les 300%, alors que la devise nationale a perdu 90% de sa valeur cette année; un exode massif, alors que deux millions d’habitants ont été forcés de fuir leurs foyers, chassés par les combats; des pénuries de nourriture, alors que cinq millions de personnes dépendent d’une aide alimentaire d’urgence.
Un pays meurtri par les massacres et les viols de masse
Moins de deux ans après son indépendance, le pays a plongé dans une guerre civile, à partir de décembre 2013. Au prétexte que Riek Machar préparait un coup d’état, les forces fidèles au président Salva Kiir ont assassiné plusieurs de ses partisans à Juba. Le vice-président a pris la fuite, avant d’organiser la résistance depuis son fief, la ville de Leer.
Des mois d’atrocité ont alors commencé, prenant par endroits des dimensions ethniques, Salva Kiir étant issu du peuple Dinka et Riek Machar de l’ethnie Nuer. Massacres ethniques mais aussi viols de masse, torture ou encore cas de cannibalisme forcé ont ponctué les mois sanglants qui ont suivi. Tous ces actes ont eu un impact très lourd sur la population, notamment en termes de santé mentale, comme le rapporte en particulier Amnesty International, dans un document publié le 6 juillet.
Pour mettre fin à la guerre civile, de fragiles accords de paix ont été signés entre les deux camps en août 2015. Riek Machar est alors revenu à Juba, accompagné d’un important contingent d’hommes armés. En avril 2016, il a retrouvé son poste de vice-président et a formé un gouvernement d’union nationale avec Salva Kiir.
Ce que l’on sait des violences actuelles
Les violences qui secouent actuellement le pays ont commencé jeudi soir, et se sont poursuivies vendredi dans plusieurs quartiers de Juba, où des tirs ont été échangés, notamment aux abords du Palais présidentiel. Dans un communiqué, le porte-parole de l’armée gouvernementale avance qu’ "un véhicule transportant des gardes du corps du vice-président (Riek Machar) a ouvert le feu sur des forces de sécurité", fidèles à Salva Kiir, qui contrôlaient des véhicules. La situation a dégénéré au cours du week-end et ce lundi, de violents combats ont eu lieu, impliquant de fortes explosions et des armes lourdes, entre les troupes de Salva Kiir et celles de Riek Machar, confirmés par des sources diplomatiques.
"On peut supposer que c’est Machar qui a commencé", estime Marc Lavergne, interrogé pour BFMTV.com. Directeur de recherches au CNRS et spécialiste du Soudan, il s’est rendu pour la dernière fois au Soudan du Sud en 2013. Il ne cache pas sa surprise, devant ces récents événements. "Depuis la signature de l’accord de paix les choses avaient l’air de rentrer dans l’ordre", estime-t-il.
D’après lui, même si la situation est encore très confuse, on peut supposer que certains des hommes de Kiir et de Machar ont pris une certaine autonomie par rapport à leur chef de file, et que cela a joué un rôle dans les violences actuelles. "Chacun des deux camps est affaibli, explique-t-il, c’est comme si on rejouait le scénario de 2013", alors que les premiers affrontements avaient éclaté à Juba et avaient pris la forme de troubles ethniques en province.
Les troupes de Salva Kiir face à celles de Riek Machar
D’après Marc Lavergne, le rapport de force entre les deux camps est égalitaire. Le président Salva Kiir est soutenu par les pays frontaliers, membres de l’Igad (Autorité intergouvernementale pour le développement), qui regroupe huit pays de l’est de l’Afrique, notamment l’Ethiopie, la Somalie et les deux Soudans.
"Le vice-président, Riek Machar, est soutenu quant à lui par Khartoum" (la capitale du Soudan, ndlr), explique le chercheur. D’après lui, Khartoum alliée à l’extérieur à l’Arabie Saoudite et au Yémen, est affaiblie sur la scène intérieure et essaye de déstabiliser le Soudan du Sud dans un but économique. Alors que la capitale nordiste loue ses infrastructures au Sud, c’est le Soudan du Sud, dépourvu de toute infrastructure, qui bénéficie des ressources naturelles, et en premier lieu du pétrole.
Un conflit politique et économique
Au-delà des dimensions ethniques que peuvent prendre les affrontements au niveau local, le conflit qui déchire le Soudan du Sud est, comme le rappelle Marc Lavergne, éminemment politique et économique. "C’est un conflit autour de la ponction des richesses du pétrole, qui rapporte 5 milliards de dollars par an", explique-t-il. "Le Soudan du Sud est aussi une des dernières terres exploitables", rappelle le chercheur, "il est plein de richesses agricoles, bien arrosé et traversé par le Nil".
"C’est une guerre sans fin", déplore le chercheur, qui voit dans cette situation la responsabilité de l’ONU, dont 10.000 hommes sont présents dans le pays. D’après lui, l’organisation ne poursuit que ses propres intérêts dans le pays, qui manque cruellement d’un cadre. "C’est un Etat qui n’a pas de sens. Le problème, conclut-il, c’est qu’on a divisé le pays en deux, sans colonne vertébrale."