"Des souffrances inimaginables": après 15 mois de guerre, le seuil de la famine a été dépassé au Soudan

Le Programme alimentaire mondial transporte des céréales depuis un entrepôt vers des camions acheminant l'aide humanitaire vers la capitale Khartoum, à Port Soudan, le 3 mai dernier. - Minako Sasako / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun via AFP)
Après près de 15 mois de guerre, le seuil de la famine a été dépassé dans le Nord-Darfour, au Soudan, a déclaré le Comité d'examen de la famine, un système de surveillance développé par des experts indépendants, dans un rapport publié ce vendredi 1er août.
"C’est la première fois en plus de 7 ans, et la troisième fois seulement depuis la création de ce système de surveillance il y a 20 ans, que le CEF arrive à cette conclusion", souligne l'Unicef, dans un communiqué publié ce vendredi. "Nous assistons à des décès dus à la faim et à la malnutrition", a confirmé le Conseil de coordination des salles d’urgence du Darfour du Nord, cité par le Sudan Tribune.
"Les conséquences d'une guerre atroce"
"La famine frappe une partie du Soudan, infligeant des souffrances inimaginables aux enfants et aux familles déjà dévastées par les conséquences d’une guerre atroce", a déploré Catherine Russell, directrice générale de l’Unicef.
Ainsi, près de 755.000 personnes, "vivant dans des conditions catastrophiques", subissent "un grave recul de la sécurité alimentaire et nutritionnelle", soulève le Comité. "La situation reste critique dans tout le pays, où, selon les prévisions, environ 730 000 enfants souffriront cette année de malnutrition aiguë sévère (MAS), la forme de malnutrition la plus dangereuse", prévient l'Unicef.
Le conflit, qui a fait des dizaines de milliers de morts et forcé plus de 14 millions de personnes à fuir, à l'intérieur du pays comme à l'extérieur, a provoqué "la pire crise humanitaire au monde" selon l'ONU.
Une famine qui va "probablement" se poursuivre
Selon le rapport, la phase 5 de la classification du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), soit la "phase de sévérité la plus élevée de l’échelle d’insécurité alimentaire aiguë", va "probablement" se poursuivre entre août et octobre.
Le camp de Zamzam n'est pas le seul à être exposé au risque de famine, de nombreuses autres régions du Soudan sont également touchées, notamment dans la région d'El Fasher où sont les camps d'Abu Shouk et d'Al Salam, à Khartoum, et dans les États du Kordofan et d’Al-Jazirah.
"La plus grave crise alimentaire au monde"
Le rapport insiste "sur la nécessité urgente d'évaluer la présence et la taille des populations dans ces zones, ainsi que leur sécurité alimentaire, leur nutrition et leur état de santé dès que possible".
Selon les conclusions du rapport, la guerre et le manque d'accès humanitaire, "deux problèmes qui peuvent être immédiatement résolus avec la volonté politique nécessaire", sont les principaux facteurs à l'origine de la famine.
"Il faut de toute urgence élargir massivement l’accès humanitaire pour que nous puissions endiguer la famine qui s’est abattue sur le Nord-Darfour et éviter qu’elle ne se propage à tout le Soudan", soutient Cindy McCain, directrice exécutive du Programme alimentaire mondial.
"La guerre au Soudan a provoqué la plus grave crise alimentaire au monde, causée par un conflit et non par la nature", avait alerté le 9 juillet dernier le World Food Programme, une branche des Nations Unies.
Des pourparlers qui échouent
Ce lundi 4 août, le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir à huis clos pour évoquer la situation au Soudan. Une nouvelle tentative de médiation visant à mettre fin à la guerre meurtrière au Soudan a échoué cette semaine, les États-Unis n'ayant pas réussi à réunir les acteurs internationaux clés à Washington.
Sur le terrain, l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) mettent en place des gouvernements concurrents et cherchent à étendre leur contrôle territorial, avec notamment des combats acharnés au Darfour Nord et au Kordofan (ouest).
Depuis avril 2023, la guerre entre le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l'armée, et son ancien adjoint Mohamed Daglo, dit "Hemedti", commandant des FSR a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés, provoquant ce que l'ONU qualifie de "pire crise humanitaire au monde", avec destructions, famine et choléra.
Le 15 avril 2024, Emmanuel Macron avait prononcé un discours appelant à "collectivement agir en faveur de la paix et du droit international humanitaire" lors de la Conférence humanitaire internationale pour le Soudan et les pays voisins. Plusieurs mois plus tard, le président de la République avait appelé à "un cessez-le-feu". Depuis, il ne s'est plus exprimé publiquement et la situation au Soudan a empiré.
Le rôle des Émirats Arabes Unis pointé du doigt
Ravagé par une crise humanitaire, le Soudan demeure sans gouvernement opérationnel après la prise du pouvoir par les militaires en octobre 2021 et la démission du premier ministre en janvier 2022.
Khartoum a émis une requête auprès de la Cour international de justice en avril dernier, affirmant que la perpétration de "génocide, meurtres et déplacements forcés" a été rendue possible "par le soutien direct apporté par les Émirats arabes unis à la milice rebelle des FSR".
La requête a finalement été rejetée par la CIJ, qui s'est considérée "manifestement incompétente pour juger la demande du Soudan". Si les Émirats arabes unis l'ont toujours nié, plusieurs médias et reporters sur place ont révélé le soutien du pays aux Forces de soutien rapide (FSR).